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Immersion dans l’œuvre d’Hugo Pratt au Musée des Confluences de Lyon

Par Paul CHOPELIN le 19 avril 2018                      Lien  
Depuis le 7 avril, le musée des Confuences de Lyon accueille l’exposition « Hugo Pratt, lignes d’horizon ». Plus d’une centaine d’œuvres originales, une mise en scène immersive : un événement bédéphilique à ne pas manquer !
Immersion dans l'œuvre d'Hugo Pratt au Musée des Confluences de Lyon
Horizons océaniens

Son maître d’œuvre, Yann Cormier, nous en avait récemment présenté les intentions : confronter des objets provenant de divers horizons culturels (Afrique, Océanie, Amériques) avec la façon dont Pratt a pu les dessiner et les utiliser dans ses scénarios. Cette entreprise trouve aujourd’hui son aboutissement dans ce qui apparaît sans conteste comme l’une des expositions BD les plus réussies de ces dernières années.

Aquarelles originales autour du thème de l’Amérique centrale

Grâce à Patrizia Zanotti, ancienne coloriste de Pratt et directrice de la société Cong, en charge de la conservation et de la valorisation de l’œuvre de l’artiste, 130 planches et aquarelles originales, connues et moins connues, sont ici exposées. Michel Pierre a apporté son expertise de l’univers prattien pour en assurer conjointement la présentation. De leur côté, Thierry Wendling, Sergio Purini et Marie-Paul Imberti ont patiemment identifiés et réunis une centaine de pièces ethnographiques issues des collections du musée, mais également d’autres institutions (musée du quai Branly, musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles) et de collections particulières.

Couverture des Ethiopiques (1978)
Aquarelle et encre de chine

Loin d’être une simple juxtaposition de planches et d’objets extraits de réserves poussiéreuses, cette exposition est une petite merveille d’intelligence et de sensibilité, qui immerge totalement le visiteur dans l’œuvre du maître vénitien. La scénographie, œuvre conjointe de Tiphaine Massari (conception) et Gilles Mugnier (réalisation), est extrêmement efficace et réserve de multiples surprises, rendant la visite des plus passionnantes.

Naissance d'un héros {JPEG}Celle-ci commence par une brève évocation de la vie d’Hugo Pratt, rappelant notamment ses sources d’inspirations littéraires, principalement des auteurs de romans d’aventure (Cooper, Stevenson, Kipling, Melville, Curwood ou Salgari), sans oublier les poètes (Villon, Coleridge, Rimbaud, Lugones) dont les citations parsèment son œuvre.

Passionné de cinéma, il y puise la matière pour construire ses récits, structurés comme de véritables story-boards. C’est l’occasion de mettre en regard des extraits de films, comme Le Réveil de la sorcière rouge (1948) ou Le Roi des îles (1954), avec quelques séquences dessinées qui en sont directement inspirées. La Chanson de Shanghai Lil extraite de Footlight Parade (1933), dont les images sont également diffusées, fournit l’accompagnement sonore de l’ensemble.

Du côté de la BD, Pratt vouait une admiration sans bornes au dessinateur américain Milton Caniff (1907-1988), qu’il a découvert par ses séries Terry et les pirates (1934) et Steve Canyon (1947). Cinq planches et strips originaux, en provenance de la Billy Ireland Cartoon Library de l’Ohio State University, sont ici présentés. L’influence que cette œuvre a pu avoir sur Pratt est évidente, témoignant d’une véritable maestria dans l’art de l’ombrage avec des aplats noirs.

Milton Caniff, planche originale de Steve Canyon (septembre 1950).
Horizons africains

La suite de l’exposition, intitulée « Horizons », nous transporte littéralement au cœur des planches. Il n’y a plus vraiment de parcours ordonné et chacun est libre de se perdre, au gré de ses envies, dans les multiples recoins de la salle principale. Des reproductions de vignettes ou de séquences de très grandes tailles surplombent les vitrines ou servent de séparation entre deux espaces. Des piliers d’images de 6 à 7 mètres de hauteur, véritables totems illustrés, viennent compléter le dispositif. Loin d’écraser le visiteur, ces agrandissements de vignettes permettent au contraire de se plonger dans cet univers dessiné et de devenir un acteur à part entière de l’aventure. Vitrines et planches nous invitent à découvrir cinq espaces : le Grand Océan (l’Océanie), les Amazonies, les Peuples du Soleil (l’Amérique précolombienne et Île de Pâques), les Masques et guerriers (l’Afrique) et le Grand Nord (Indiens d’Amérique et Canada). Faute d’objets disponibles, il ne manque que l’Asie centrale et la Sibérie, même si quelques planches exposées rappellent les aventures de Corto Maltese se déroulant dans ce cadre.

Horizons océaniens

Les trouvailles muséographiques sont nombreuses et accentuent le sentiment d’immersion du visiteur. Ainsi, des vitrines sont masquées par des reproductions de vignettes de Corto Maltese ou d’Ann de la Jungle faisant allusion à un objet ou à un lieu spécifique.

De façon aléatoire, les vignettes s’effacent sous l’effet d’un éclairage savamment disposé, laissant soudain apparaître une pièce originale en rapport avec le dessin. La visite prend ainsi un tour mystérieux et inattendu, en jouant sur le goût de Pratt pour l’occulte.

Poupée, début XXe siècle, Bahia, Brésil.
Reproduction d’une vignette de Capitaine Cormorant (1962) et boomerangs aborigènes (Australie, XIXe-XXe siècle)

Grâce à un éclairage judicieux, des lances fidjiennes ou des boomerangs aborigènes projettent leur ombre sur des agrandissements de vignettes de Capitaine Cormorant (1962). Les objets sortent ainsi littéralement du cadre de l’image pour donner très efficacement vie à la scène.

Des objets provenant de la collection personnelle d’Hugo Pratt sont également présentés, comme une marionnette sicilienne, qui rappelle son goût pour le théâtre, ou une tenue complète de scaphandrier, symbole d’aventure sous-marine, mais également allusion à son tout premier dessin d’enfant sur un quai de Venise.

Au centre de la pièce, une grande carte interactive nous plonge au cœur des géographies prattiennes. Centrée sur Venise, évidemment, la mappemonde est agitée de courants et de tourbillons organisés autour de mystérieux nodules. Lorsqu’on les touche, ceux-ci font apparaître des personnages correspondant aux histoires se déroulant dans l’espace concerné. Ce sont des portraits « parlants », accompagnés d’une bulle, qui sont entraînés rapidement dans le courant avant de disparaître progressivement, pour réapparaître sous le doigt du visiteur suivant.

Equipement de scaphandrier provenant de la collection personnelle d’Hugo Pratt
A l’arrière-plan, reproduction d’une tête colossale, 900-400 av. JC, Mexique, culture olmèque.
Planche originale d’Ann de la Jungle, détail.

Ce dispositif n’offre a priori aucun intérêt et pourrait être considéré comme l’un de ces très dispensables gadgets interactifs du moment. Pourtant, là encore, le charme opère et l’on se prend au jeu. Trait d’union entre les différents espaces de l’exposition, ce planisphère sert de point de repère pour le visiteur et l’aide à entrer dans l’œuvre de Pratt. Les tourbillons sont ceux du destin, souvent tragique, qui emporte inexorablement les protagonistes de ces histoires. Interactivité rime ici avec poésie en redonnant vie à des personnages qui n’existent que par la volonté de leur auteur et par les yeux du lecteur.

Carte interactive, exposition "Hugo Pratt, lignes d’horizon"
Une des projections de la lanterne magique

Après avoir exploré les différents « horizons », le visiteur est invité à vivre une expérience visuelle et sonore originale au sein d’une chambre noire circulaire, sur les murs de laquelle sont projetées des images animées tirées de l’œuvre de Pratt. Danse macabre, transes chamaniques, fusillades dans la jungle, sont, entre autres, au programme de cette spectaculaire projection, à la manière d’une lanterne magique.

Une fascinante danse macabre

Le parcours se termine par un espace bibliothèque où l’on peut lire des albums d’Hugo Pratt édités dans différentes langues. Un mur est tapissé de l’intégralité des 390 portraits en noir et blanc de personnages créés et nommés par Pratt, lequel apparaît ici sous les traits de Simon Girty, l’un des protagonistes de Fort Wheeling (1962). Sur un autre mur, sont exposés des numéros de revues dont les couvertures ont été dessinées par Pratt, notamment lors de ses tout débuts dans la revue L’Asso de picche (L’As de Pique). Souvent peu connues, ces illustrations méritent cependant qu’on s’y attarde. Un espace de projection permet enfin de visionner, à condition d’en avoir le temps (55 min.), l’excellent documentaire de Thierry Thomas, Hugo Pratt, trait pour trait (Arte, 2016).

Couvertures de revues dessinées par Hugo Pratt
En bas, au centre, la couverture du premier numéro de L’Asso di Picche, l’un des tous premiers dessins publiés d’Hugo Pratt (1945).

Tout en s’adressant à un large public, cette exposition ne peut que combler les amateurs de BD. Elle constitue indéniablement une référence en montrant ce que l’on peut obtenir avec une scénographie inventive, au service d’une œuvre, de son auteur et de ses lecteurs. Si le contenu est déjà très riche, il manque peut-être une évocation de la bibliothèque de Pratt et de sa perception de l’objet par l’intermédiaire d’ouvrages illustrés, notamment la revue National Geographic dont il était un fidèle lecteur. Mais ce regret ponctuel est largement compensé par l’émerveillement que l’on ressent à chaque instant de la visite. Un album de l’exposition, richement illustré, est disponible sous la forme d’un leporello, un livre accordéon. Il est possible de le compléter par le très beau catalogue, au format à l’italienne, appelé à devenir une référence dans la bibliographie prattienne.

Voir en ligne : Site officiel de l’exposition

(par Paul CHOPELIN)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 978-271187102

Sauf mention contraire, tous les dessins © Cong SA. Photographies © Paul Chopelin.

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