Histoire dessinée de la France, T. 12 : Les années Lumières, de la Régence aux états généraux - Par Pauline Lemaigre-Gaffier, Rahul Markovits et Simon Spruyt - La Découverte

Au scénario, deux historiens, Pauline Lemaigre-Gaffier, spécialiste d’histoire des cours princières, et Rahul Markovits, spécialiste des circulations culturelles, proposent aux lecteurs de voyager dans la France des Lumières, à la manière d’un conte philosophique, avec des titres de chapitre pastichant ceux du Candide de Voltaire.

Une telle approche constitue évidemment un bon moyen de questionner avec humour nos représentations collectives de cette période de l’Histoire de France. Le XVIIIe siècle est en effet soit célébré comme une ère d’abondance, d’intelligence et de gaieté – le siècle des belles marquises et des philosophes – soit dénoncé comme le creuset des dominations contemporaines, par la promotion du racisme, de l’esclavage, du capitalisme prédateur et du patriarcat. Souvent, ces visions simplistes servent à valoriser ou non le point d’aboutissement que constituerait la Révolution française. En bons historiens, notre duo d’auteurs explique que les choses sont en réalité un peu plus compliquées.

Le lecteur est invité à découvrir les différentes facettes d’une société en transformation, en interrogeant la notion de Lumières, fil conducteur de l’ouvrage. Notre guide sera un employé de la Société typographique de Neuchâtel, une maison d’édition suisse qui inonda la France de ses productions dans les années 1770-1780. Embarqué dans l’univers de la contrebande du livre – livre interdit ou livre contrefait (les éditions pirates) –, le lecteur découvre peu à peu, en voyageant à travers le royaume de France, tout un contexte politique et économique mal connu du grand public.

Fidèle à l’esprit de la collection, ce volume interroge le rapport entre histoire et mémoire pour dégager les strates de la fabrique du "Siècle des Lumières". Les allers-retours entre passé et présent permettent d’interroger la postérité des Lumières et de comprendre comment les hommes et les femmes du XVIIIe siècle ont eux-mêmes fabriqué cet héritage, par l’invention de personnages célèbres, à l’instar d’un Rousseau ou d’un Voltaire, tous deux panthéonisés sous la Révolution.

Le procès des Lumières, mené au XXe siècle au nom du refus de l’européocentrisme et de l’hypocrisie d’un humanisme aveugle à bien des souffrances, est ici examiné avec justesse. Comme la plupart des historiens aujourd’hui, les auteurs soulignent, sans glorification ni dénigrement, la pluralité des Lumières. Celles-ci ne constituent pas un bloc, mais un large éventail de pensées et de pratiques, fondées sur l’exercice de la raison critique et sur l’élargissement des connaissances. Non sans quelques contradictions.

La part belle est bien évidemment faite à Voltaire et à Rousseau, mais sans se limiter à ceux-ci. On appréciera notamment l’attention portée aux idées des économistes. Quelques auteurs contemporains sont convoqués pour livrer leur interprétation des Lumières. On croisera ainsi avec bonheur, au fil des pages, l’historien du livre Robert Darnton, l’historien du pain Steven Kaplan ou encore l’inévitable Michel Foucault et ses obsessions panoptiques.

Au dessin, l’excellent Simon Spruyt (Junker, Le Tambour de la Moskova, Les Mémoires du dragon Dragon) propose une belle galerie de personnages et de situations amusantes, croqués avec beaucoup de justesse. Un certain nombre de schémas explicatifs viennent cependant entraver la fluidité de planches très denses, qui n’échappent pas toujours à l’effet juxtaposition de vignettes. Mais les clins d’œil qui parsèment l’album – le robot Voldorak, les pages Twitter, les pastiches d’affiches de cinéma – sont vraiment réjouissants. L’amateur de 9e art pourra juste regretter l’absence de références aux grands classiques de la BD historique sur le XVIIIe siècle, alors que le 7e art est, lui, évoqué en annexes.

L’aperçu qui est donné de la période est globalement équilibré, avec, comme dans les autres titres de la collection, des annexes permettant d’approfondir telle ou telle thématique. Seul bémol, les aspects religieux sont abordés selon une perspective historiographique un peu datée qui occulte l’autre versant des Lumières, celui de l’intransigeance doctrinale, des replis spirituels, des sociétés secrètes, de la montée des peurs et de la spirale complotiste sur fond de crise morale et institutionnelle de l’Église catholique.

Hormis cette petite réserve, on ne peut qu’être admiratif devant un récit aussi bien tenu, véritable tour de force didactique. Le contenu, redisons-le, est dense, mais il mérite que l’on s’y plonge pour apprécier toute l’intelligence et la nuance du propos. L’occasion de souligner une fois de plus l’intérêt de cette collection qui met à disposition du grand public un savoir historique accessible tout en restant exigeant sur le plan scientifique. L’exercice est ici pleinement réussi et on ne peut que chaudement recommander cette traversée des années Lumières. Voldorak go !