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« L’Affaire des hommes disparus » : l’étrange polar des éditions Pow Pow

Par Marianne St-Jacques le 25 janvier 2021                      Lien  
Finaliste dans la catégorie Fauve Polar 2021, Les Mystères de Hobtown T1 : « L'Affaire des hommes disparus » de Kris Bertin et Alexander Forbes marque la toute première nomination pour l’éditeur québécois Pow Pow dans la sélection du FIBD d'Angoulême. Un ouvrage anxiogène qui soulève plus de questions qu’il ne donne de réponses.

Avec à peine 2000 âmes, Hobtown est petite ville fictive de Nouvelle-Écosse (province canadienne où Conundrum, l’éditeur qui publie de la série en V.O. anglaise, tient pignon). C’est dans cette bourgade côtière qu’échoue Sam Finch, un jeune étudiant en génie. Si Sam a l’habitude de passer ses étés à Hobtown – sa famille est propriétaire d’une usine locale – celui-ci s’y rend pour une toute autre raison : son père, le riche industriel Max Finch, a disparu. Il n’en faut pas plus pour que le club de détectives de l’école secondaire se saisisse de l’affaire : avec l’aide de Sam, les membres du club (Dana, Pauline, Denny et Brennan) découvrent que cinq autres hommes de la région manquent à l’appel. Sans compter les nombreux « accidents » et autres morts suspectes qui s’accumulent dans l’indifférence générale…

Avec Les Mystères de Hobtown, Bertin et Forbes semblent emprunter les codes du récit jeunesse, quelque part entre le Club des cinq d’Enid Blyton et les aventures de Scooby-Doo. Mais rapidement, le lecteur comprend que cette formule gentiment rétro et naïve n’est qu’un leurre alors que celui-ci glisse vers quelque chose de plus inquiétant.

En effet, Hobtown baigne dans une atmosphère étrange, et rien ne semble être tout à fait à sa place ; des sociétés secrètes y sont actives (les logos des Francs-Maçons et de leur branche caritative, les Shriners, sont bien visibles sur le panneau d’accueil de la ville), et les personnages ont souvent des réactions déstabilisantes (à commencer par l’énigmatique Alderman, représenté sous les traits de Jean-Paul Sartre). Et si la ville est aux prises avec des problèmes de corruption et de brutalité policière, il semblerait que des forces encore plus obscures soient à l’œuvre.

« L'Affaire des hommes disparus » : l'étrange polar des éditions Pow Pow

Les Mystères de Hobtown T1 : « L’Affaire des hommes disparus », par Kris Bertin et Alexander Forbes
© Pow Pow

Couleur locale, question coloniale

Au-delà du polar – voire du thriller psychologique – L’Affaire des hommes disparus semble contenir un important sous-texte sur l’histoire coloniale du Canada, ainsi que sur les relations parfois difficiles entre les Premières Nations, les Acadiens et les Canadiens-Anglais.

C’est notamment le cas lors des célébrations de la « Fêtes des pionniers » d’Hobtown, lors de laquelle le maire revient sur la fondation de la ville (du moins sous sa forme britannique). Un récit officiel qui ne manque pas de transformer la violence coloniale en acte héroïque : « Il y a longtemps de cela, en 1749, Lord Benedict est arrivé juste ici ! À l’endroit exact où nous sommes ! Mais au lieu d’y trouver une colonie naissante, il a été accueilli par des dizaines de Français et d’Indiens sanguinaires ! C’était un piège ! Même si elles avaient faim et qu’elles étaient moins nombreuses, les troupes de Lord Benedict se sont battues toute la nuit. Le lendemain, leurs ennemis étaient morts. Aujourd’hui nous célébrons l’héritage de ces braves pionniers qui ont transformé ce champ de bataille en paradis côtier. » (p. 150-151).

La question coloniale est également au cœur des rapports entre la population locale et les forces de l’ordre. Cet enjeu est mis en lumière lorsque les frères Denny et Brennan sont suspectés de meurtre par la police. Or, si, pour les deux frères, l’héritage autochtone est un tabou familial, l’importance de cette filiation prend tout son sens au moment de leur interrogation : « Tu es autochtone. Ça ne paraît pas vraiment mais je le sais. – Mon père est à moitié Micmac. – Ta mère aussi, même si elle ne veut pas l’admettre. Ce que j’essaie de dire, c’est que le sang, ça passe avant ça [en montrant son insigne]. – Ouin, pis ? – Ton frère a raison d’avoir peur. Mais tu peux me faire confiance, on est des frères. » (p. 146).

Enfin, alors que le club de détectives poursuit son enquête sur les hommes disparus, Dana découvre qu’il existe peut-être un lien entre l’histoire coloniale d’Hobtown et la « malédiction » qui frappe la ville : « Certains des livres empruntés par mon père parlent de vieilles légendes autochtones et de l’histoire de la ville, de son architecture et de sa démographie. » (p. 232).

S’il est encore trop tôt pour saisir toute l’ampleur de cette réflexion amenées par le scénariste Kris Bertin – bien qu’évoqués en marge du récit principal, ces passages ne sont pas anodins –, le prochain tome des Mystères de Hobtown nous donnera peut-être quelques indices supplémentaires sur l’importance des questions identitaires (un bref passage à la page 205 de L’Affaire des hommes disparus nous permet également de supposer que Pauline est acadienne, un aspect qui n’a pas encore été développé). En effet, le tome 2 de la série, L’Ermite maudit, vient tout juste de paraître en version française chez Pow Pow. À suivre, donc...

(par Marianne St-Jacques)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782924049600

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