Virages graphiques, nouvelle collection de bandes dessinées des Editions Rivages, ambitionne de raconter le monde d’aujourd’hui et notre rapport au monde à travers la fiction. Cette collection veut aussi créer des passerelles entre les différentes formes d’arts et amener des artistes vers la BD.
Première BD de Marie Baudet, peintre (au dessin) et de Baptiste Sornin, acteur, comédien et metteur en scène (au scénario), L’Amour, après surprend d’abord par l’anonymat des visages : pas d’yeux ni de nez ; juste l’ovale du visage, des cheveux et pour Louis, une barbe et une moustache. Curieux album qui met en parallèle, le délitement d’un couple et la défaite électorale de Donald Trump face à Joe Biden... Pour les non-anglophones, une traduction de l’ensemble des textes aurait été la bienvenue.
Sophie a 35 ans, Louis 33. Ils sont ensemble depuis dix ans. Dix ans, c’est long en amour. On a le temps de se poser mille questions et d’y répondre. Ou du moins de répondre à certaines et d’accepter l’absence de réponses pour d’autres. On a le temps de voir l’autre changer et devenir quelqu’un d’autre, sans s’apercevoir que l’on a soi-même changé mais différemment. L’amour fou, puis les premiers doutes, les disputes...
Quand l’histoire commence, Sophie et Louis sont à ce moment critique : la vie est à la fois devant et derrière eux. Pour le présent c’est plus flou. Et s’ils ont fui l’évidence, elle n’en demeure pas moins une réalité : leur amour s’est transformé en une habitude. Que sont-ils aujourd’hui l’un pour l’autre ? L’Amour, après est une histoire en plusieurs fragments qui racontent l’évolution des sentiments au sein de leur couple. Selon l’éditeur, Baptiste Sornin et Marie Baudet excellent dans la restitution des émotions du quotidien et parviennent ainsi, avec cet album, à rire du désespoir, sans que jamais, ce soit aux dépens de leurs personnages.
Les chroniqueurs, dont nous sommes, sont plus partagés. Non pas sur le traitement des personnages qui, effectivement, est respectueux. Il ne s’agit pas de ce rire facile qui en rabaissant l’autre, donne l’impression au rieur d’être lui-même moins médiocre voire supérieur. D’ailleurs, l’humour dans cet album ne s’exprime que par petites touches.
Mais en présentant en chapitres / scénettes qui correspondent à des temps différents (en voiture, sur un canapé, sur un court de tennis,…), les 112 pages se lisent certes facilement, d’une traite, mais l’histoire ne parvient pas toujours à toucher, à emporter le lecteur.
Lorsque le personnage se trouve seul dans un magasin, la case qui occupe toute la planche montre la solitude qui est aussi celle de chacun dans ce couple en bout de course. Pourtant l’émotion ne vient pas spontanément. Cet instant constitue, peut-être, une référence à la société de consommation puisque cette collection veut raconter la société d’aujourd’hui et ses crises.
Autre moment : le régime que suit la mère de Sophie qui pourrait s’interpréter comme un écho aux injonctions sociales concernant le corps des femmes. Lorsque Louis marche avec une béquille, cela illustre l’état bancal de ses relations entre Sophie et lui. La scène de l’achat / du non-achat des billets de train renvoie, elle aussi, à l’incertitude des sentiments.
Il y a des réussites, notamment graphiques. Ainsi, le choix de personnages qui se font rarement face suggère bien la longue usure du couple ; ils ne se regardent plus ni ne partagent de projets communs, collectifs... Non sans humour.
Il y a évidement, un sujet qui parlera à beaucoup : quand les sentiments que l’on a éprouvés pour l’autre, la passion même, se sont flétris et que l’on ne sait plus où l’on en est, que la rupture s’avance sans s’être encore formalisée, les lendemains ne s’envisagent plus.
Mais, les personnages s’incarnent insuffisamment et l’album donne le sentiment qu’il ne tient qu’à moitié ses promesses. Dommage.
Voir en ligne : Site de Marie Baudet
(par Christian GRANGE)
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