Morpheus - Par Yann Bécu & Francesco Trifogli - Ed. Les humanoïdes associés

Dans la parution pléthorique d’albums, certains risquent de passer sous les radars. Ce serait dommage pour cet album.

Un futur post-apocalyptique et dystopique

Dans les années 2070, les pilules L.A.G (« like a god ») booste les facultés cognitives des êtres humains. Le monde connait alors une croissance sans précédent. Mais le bond technologique et économique ne dure pas. Effet secondaire du LAG, une mystérieuse vague de sommeil frappe. Ni virus, ni parasite, ni bactérie, Morpheus augmente les besoins de sommeil de l’humanité. En janvier 2079, la moyenne mondiale de sommeil atteint vingt heures par jour !

Saccage du laboratoire

Dessin particulièrement efficace. Les deux membres de la secte enlèvent le généticien et revendiquent leur acte, signant surtout l’illettrisme de "frère Zak".

Les années 2080 sont celles de l’effondrement et du repli des villes sur elles-mêmes, en cités autonomes et indépendantes. Parmi elles, Prague, sous la houlette de son maire Jaroslav Novak, met en place un sytème autoritaire et une surveillance généralisée. La Taxe-Temps d’Utilité Publique (TTUP) oblige chaque individu à se former en ingénierie robotique et à consacrer une partie de son temps de veille à la maintenance et à la production.

« Bien reçu Juliette. Confirmez que vous serez réveillée pendant les quatre prochaines heures. » (page 5)

Dans le quartier pragois de la Petite Bosnie, Juliette Bach, chasseuse de son métier, a besoin d’une forte somme d’units (l’argent de l’époque) pour réparer Teacher, le robot à tout faire, également en charge de l’éducation de Chloé, sa petite fille âgée de cinq ans.

Ordre sécuritaire (et expéditif)

Après la mort de son complice, "soeur Noam" se cache en pleine lumière et annonce sa volonté de vengeance.

Elle se porte volontaire pour ce qui ne devait être qu’une mission de surveillance de trolls préparant une vaste opération de sabotage. Car tout régime policier suscite des vocations rebelles ou terroristes.

Le laboratoire génétique du professeur Yuri Ivanov, membre honoraire du Grand conseil, est la cible d’une secte ayant une tulipe noire pour signe d’appartenance.

Outrepassant l’ordre reçu, Juliette se porte au secours du généticien et fait échouer la tentative d’enlèvement. Conséquence non prévue, « frère » Zak est exécuté par une patrouille robot qui a pour seul ordre de neutraliser la menace troll. « Soeur » Noam jure de se venger.

« - Appelez un medibot. C’est ce que je voulais dire. Je l’interroge comment moi, s’il meurt ? 
 Désolé chasseuse. En zone sensible, nos ordres sont clairs.
 Menace troll neutralisée » (pages 20 et 21)

Récit à la fois original… et classique

L’effondrement ne résulte ni d’un accident ou conflit nucléaire ni d’une catastrophe écologique ni d’une invasion extraterrestre.

Récit dense en actions et riche en thématiques abordées (et qui seront probablement développées par la suite), Morpheus tient du road-trip, de la chasse à l’homme et de la quête initiatique.

Sur 110 pages, la BD raconte le voyage à pieds de Prague à Berlin, de Juliette, accompagnée par sa fille qui dort tout le temps, d’Ivanov, le généticien qui aurait trouvé un remède, de Teacher , de horsesbots et d’un robot protecteur dernier cri, EMMA. Elles espèrent retrouver le père de Chloé dans la cité allemande.
Cette quête pédestre sera sans temps mort : poursuivis par Noam dont on devine le passé traumatique et par des mercenaires à la solde de la cité de Prague, les embûches ne manquent pas.

Humour de robot

Passage de la frontière. Cases 3 et 5 : vue de dos puis de face.

L’intérêt de l’album réside aussi dans ses thématiques : il interroge sur les conséquences de la recherche sans principe de précaution, les manipulations génétiques (cf la rencontre avec des licornes carnivores et affamées), sur la volonté de devenir des sur-hommes, sur l’intelligence artificielle, sur l’extrémisme et le fanatisme, la corruption.

« - Je n’ai plus les jambes de ma jeunesse ! Pour moi c’est fini, la vie de road-bot (...)
 Déjà 895 ouvrages au compteur ! Et chaque fois, j’affine l’algorithme de ce qui est une bonne histoire. » (page 69)

Les personnages sont, pour les uns, attachants avec leurs faiblesses et secrets et pour les autres, inquiétants voire répugnants. Les personnages féminins évitent les stéréotypes : volontaires, complexes.

Le dessin réaliste de l’italien Francesco Trifogli et le choix d’un découpage différent d’une planche à la suivante (case panoramique, carrée, incrustée, verticale, horizontale, en forme de cible, de verres de jumelle…) participent à l’efficacité du récit, à une mise sous tension du lecteur.

Les Humanoïdes Associés ont mis en contact Yann Bécu avec Francesco Trifogli quand les éditions de L’Homme Sans Nom les ont rejoint ; celui-ci ayant manifesté l’intention d’adapter lui-même son roman en BD.

Francesco travaille avec les Humanos depuis plusieurs années et apprécie les projets de SF et fantasy ambitieux comme celui-ci. Il avait déjà signé Le Feu de Thésée de Jerry Frissen, et Le Sang des immortels  adapté du roman de Laurent Genefort.

Réelle bonne surprise que cet album. On attend avec impatience la suite !