Il n’a pas trouvé intéressant de publier les habituels crobards tremblés de dessinateurs intimidés qui veulent à tout prix fixer l’instant . On les imagine suant à grosses gouttes, planqués à l’ombre tentant de capturer l’atmosphère, les couleurs, la lumière. Ils deviennent alors des apprentis Titouan Lamazou, utilisant classiquement l’espace avec les mêmes crayons gras, les mêmes aquarelles, la même encre un peu impersonnelle.
Le premier plaisir en lisant ce livre est de se rendre compte que Dumontheuil, lui, a choisi de front son média, la bande dessinée, pour raconter et sublimer son expérience. Et il le fait avec une vigueur euphorisante et jouissive.
Il suffit de citer les narratifs de la page 15 pour savoir le ton du livre : « Il s’est gorgé de visions, d’odeurs, de couleurs, de chants… de tout ce qui comble et étonne… »
En ça, il est l’anti-Tintin au Congo. Ce n’est pas un blanc qui transforme tout sur son passage . C’est au contraire l’Afrique qui modèle le personnage principal, un Français cultivé qui va se découvrir lui-même avec ses failles et ses contradictions. Dumontheuil se réjouit de lui faire vivre mille aventures formidables ou anodines. Jamais on ne tombe dans le cliché du héros européen ou occidental, le blanc en balade, le civilisé face au monde sauvage. Cette impression désagréable trop souvent ressentie devant des travaux d’artistes pourtant sincères. On pense à cette tradition du récit d’aventures où le héros supérieur traverse des contrées hostiles. On pense aussi aux photos misérabilistes de la plupart des globe-trotters : un petit garçon pieds-nus, un vieux noir ou une Asiatique saisis dans leur labeur, leur pauvreté. Capturés par l’objectif, ils deviennent des objets de curiosité, des trophées dignes du colonialisme.
Pour ce récit dont c’est le premier tome, ces erreurs sont évitées avec maestria. L’auteur a créé un personnage haut en couleurs qui vit intensément les humeurs du touriste : un mélange d’appréhension, de condescendance, de frilosité ( sous ces latitudes !), de curiosité, de candeur…
Un seul bémol : le personnage est sans cesse ridiculisé, malmené au-delà des limites .Dumontheuil est sans pitié, presque sadique. Il se régale des coups qu’il distribue à son “nanti héros” calé entre sa bonne volonté et la maladresse : un vrai Gascon Lagaffe.
Qui est ce Jean-Dextre Pandar de Cadillac ? Un noble lettré, un intellectuel qui se voit confronté aux forces naturelles d’un pays, d’un continent où tout est piquant, dangereux et enivrant…
Dumontheuil aligne avec gourmandise les situations outrancières. On use là d’un ressort un peu “grossier” mais régulièrement tempéré par des retours immédiats à une poésie bienveillante et ce grâce à une prose gracieuse ; louons d’ailleurs le talent d’écriture de l’auteur. Cela dit, c’est un grotesque assumé : tout nous indique que nous sommes dans le pastiche, la caricature. Pour preuve, le gros nez du personnage central, référence et hommage autant à une certaine forme de bande dessinée humoristique franco-belge( on pense aussi à Pétillon ou à Rochette) qu’à l’appendice nasal du plus célèbre des Gascons.
Un album essentiel
Malgré cette accumulation de péripéties, on est conquis par ces paysages, ces ambiances, ce spectacle. Tout est drôle et nostalgique. Outre le regard bourré d’empathie pour le genre humain (et même pour la faune et la flore, le sous-titre cite un margouillat considéré comme un interlocuteur normal), l’auteur en profite pour prouver sans esbrouffe ses talents de dessinateur. Quelle aisance dans les cadrages et les atmosphères ! Les nuits, les jours, le mystère, la fatigue, le désordre… Tout est montré avec générosité ; les véhicules, les animaux sont croqués avec le même bonheur ; on est bien dans le plaisir pur. La bonne humeur se teinte pourtant de cette mélancolie qui vient après la bourlingue. Cette fatigue enfantine, l’homme redevient un naïf quand il voyage, il s’émerveille, s’esbaudit avant de s’endormir épuisé par son propre enthousiasme.
Cet album est essentiel pour cette raison ; les données classiques sont de mise mais ce n’est pas Tintin qui va vers cette Afrique, c’est l’Afrique qui vient à Jean-Dextre. Elle coule littéralement en lui, l’irriguant, le transformant. Dumontheuil prend le récit d’aventures et le transforme en une quête psychologique et initiatique (rigolote en plus ! ) mettant à mal le principe même de la littérature de voyage où curieusement le sage académisme l’emporte trop souvent.
(par Sergio SALMA)
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Le Landais volant, conversation avec un Margouillat – Par Nicolas Dumontheuil - Éditions Futuropolis
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