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Laurent Bidot : « Une bonne BD est celle qu’on a envie de relire »

Par Charles-Louis Detournay le 17 juillet 2007                      Lien  
En une demi-douzaine d’albums, ce jeune auteur réussit le suprenant pari de parler de foi dans un cadre souvent ésotérique. Pour nous, il revient sur les temps forts du {Linceul}, évoque {L'histoire du Mont Saint-Michel}, et livre en exclusivité les détails de sa prochaine série, {l’Eternel}.

Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, pouvez-vous nous résumer votre parcours ?

Laurent Bidot : « Une bonne BD est celle qu'on a envie de relire »J’ai d’abord réalisé un album traitant de l’histoire de la Grande Chartreuse chez Glénat, qui s’est avéré être une belle vente surprise, malgré une faible promotion et un travail artisanal. Un auteur de BD chrétienne comme moi réussit rarement son passage chez un gros éditeur, mais mon public chrétien m’avait alors suivi en engendrant une bonne publicité de bouche-à-oreille. J’avais alors un projet sur le Suaire de Turin, et apprenant que Didier Convard lançait une nouvelle collection, j’ai envoyé mon synopsis de 5 lignes à Glénat sans trop y croire. J’ai eu beaucoup de chance, car le lancement de Loge Noire demandait de la matière, et Didier avait l’idée de traiter ce thème, sans trop savoir comment l’aborder : je tombais à point nommé.

Un catholique dans une collection franc-maçonne, cela devait pourtant sembler paradoxal ?

J’avais émis des réserves à ce propos, mais je m’en étais ouvert à Didier qui m’avait directement répondu que j’aurais les coudées franches pour exploiter au mieux le Linceul. Dans un premier temps, une partie de mon public a été désarçonné par cette collaboration, et a pris de la distance. Mais la sortie du tome 4 nous a réconcilié et cette exposition à St Martial [1] est pour moi une reconnaissance de mon travail parmi les chrétiens. D’ailleurs, certains amis francs-maçons de Didier Convard lui ont reproché de publier une série chrétienne dans Loge Noire. Voilà une chose de plus qui nous a rapprochée : ce regard critique, alors que nous ne souhaitions que briser des carcans.

Le début du Linceul a été fort critiqué, mais c’était aussi une façon de susciter la réflexion

Je souhaitais livrer au public une grande aventure, pleine de rebondissement, mais aussi poser la question de la relique dans le monde religieux et son évolution : il y a d’abord eu l’apport financier qu’elles suscitaient, puis également la construction de la foi pour certains croyants, qu’il faut également respecter. Cette réflexion sur l’image est fondamentale dans une période où nous jouons beaucoup avec le symbolisme. J’ai ainsi utilisé les codes de la BD ésotérique pour finalement construire une série chrétienne.

Loin du conte philosophique ennuyeux, vous avez basé votre série sur une actualité brûlante.

L’utilisation du sacré pour des guerres ou des actes terroristes est malheureusement régulièrement la base de nos actualités. Sans fournir de réponse toutes faite, je voulais renvoyer le lecteur à ce qu’il perçoit à travers les médias, et l’utilisation exponentielle des images pour donner l’illusion de détenir la Vérité. C’est d’ailleurs ainsi qu’un de mes personnages perd sa foi en menant une croisade pour construire l’image de Jésus.

Vous avez donné votre vision de la crucifixion. N’est-ce pas le moment que vous redoutiez ?

L’entièreté du texte de ces deux pages est repris de la Bible : ces écrits sont selon moi plus proche de la réalité que les films ou les imageries dont on nous abreuve et qui entraînent dans des errements complexes, alors que le texte porte déjà une magnifique richesse. Je souhaitais éviter cette déviance graduelle. Je me suis aussi fort questionné sur l’aspect graphique de ce passage important. J’avais fait un premier essai en couleurs directes, mais ce n’était pas concluant. J’ai alors accentué les lumières pour révéler l’importante de ce moment-clé. Les traits sont durs, sans fioritures, pour symboliser l’âpreté de l’instant. L’instant de la mort devait comporter cet éclatement du cœur, et pour que le lecteur le comprenne bien, j’ai visualisé son visage en négatif. Ce qui renforce l’idée du linceul qui serait l’image du Seigneur au moment de sa résurrection.

Vous employez l’informatique pour renforcer vos effets graphiques ?

D’abord pour les explosions, où j’ai placé un flou, pour faire en ressentir au lecteur le souffle et la chaleur. Le Suaire possède également un côté très photographique pour bien faire comprendre au lecteur que c’est une image rapportée dans le récit et que supplantant le linceul, elle devient le vrai personnage central de la série. J’ignore quelle est l’origine du Suaire, divine ou humaine, mais il fait partie d’une maîtrise de la communication tant l’image porte le message de Jésus (calvaire, passion, résurrection).

Vous marquez dans votre série l’antagonisme entre foi et science ?

Si les deux premiers tomes se concentrent sur les recherches historiques et scientifiques concernant le Suaire, j’ai voulu approfondir le sujet en évoquant dans les deux suivants la réflexion et la recherche de sens. C’est aussi le parcours des deux frères, que leurs propres démarches opposent. Le récit progresse pour amener à une troublante vérité, qui doit finalement peu à la science. En laissant de côté tous les artistes qui au long des siècles ont parfois enjolivé les épisodes bibliques (la meilleure preuve est l’évolution des traits de Jésus), on peut considérer que les écrits restent le plus fidèle témoignage de cette épopée sacrée.

La liberté de la Foi est-elle votre moteur créatif ?

Je doute en permanence, mais j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup d’hommes d’Église avec qui je me suis entretenu à ce sujet, qui m’ont aidé et éclairé. D’ailleurs, Jacques, le prêtre de mon récit, clôt l’aventure en lui conférant une valeur spirituelle. Très passif dans les premiers tomes, on prend compte graduellement de son importance : son inaction n’est que la liberté exprimée de la foi, chacun doit suivre son chemin pour trouver les réponses à ses questions.

Vous êtes un auteur complet, qu’est-ce qui vous motive à rester le maître de votre création ?

Je suis en effet le scénariste, dessinateur et coloriste de mes albums. Je veux garder constamment à l’esprit, mon point de vue et ma réflexion personnelle pour conserver ma liberté de gérer complètement mon histoire. En tant que dessinateur du Linceul qui s’est fort bien vendu, Glénat m’a proposé pas mal de séries, mais rien qui me donnait suffisamment envie. Les sujets me semblaient éculés, on voulait prêter à mes personnages des propos que je ne ressentais pas, ce qui me semble impossible car je m’y investis énormément. D’ailleurs, après le Linceul, je me sentais un peu perdu, et c’est pour cela que je suis reparti vers un ancien projet, cet historique du Mont Saint-Michel, pour me permettre de passer à autre chose tout en me ressourçant. Belle preuve de confiance que ce one-shot, car même si les ventes sont prometteuses, cela demeurait une gageure. Mais Jacques Glénat aime ces hors-pistes : cela permet de faire connaître la BD en dehors des librairies classiques. En l’extrayant de son contexte cloisonné, on en fait croître le lectorat.

Comment vous sentez-vous après la fatigue des 4 tomes du Linceul, puis cette année un peu plus calme du Mont Saint-Michel ?

Cette année de transition entre deux gros projets que je mène en solo depuis plusieurs années a été très bénéfique. Je développais l’Éternel depuis plus d’une dizaine d’années sans parvenir à lui donner l’orientation que je souhaitais. Après le Linceul, un gros travail de remise en question et d’autocritique constructive a été nécessaire pour puiser profondément en moi l’inspiration. La bande dessinée n’est pas un but en soi, mais c’est plutôt l’écriture qui me passionne, et plus précisément, la recherche d’une cohérence, d’une harmonie qui sous-tend les dessins entre eux. Cette ferveur est très exigeante, et le Mont-Saint-Michel a été un retour à la source de ce qui est réellement magique en bande dessinée : un papier et un crayon peuvent redonner vie à 1700 ans d’histoire. Je pense que nous avons vraiment là une puissance d’évocation 1000 fois supérieure à tout autre média.

Exposition à Angoulême

Vous continuez votre quête spirituelle à travers votre nouvelle série : l’Eternel ?

Je vais suivre un enquêteur, Thomas Landon, qui assemble les pièces d’un dossier en vue d’une canonisation. Je vais ainsi m’intéresser à toute cette procédure complexe, et très longue car elle peut parfois aboutir 300 ans après les faits. Mon enquêteur va se retrouver face à un saint surprenant, qui va défier sa raison et sa foi. Il rassemble des observations scientifiques et des témoignages. Il s’agit d’une des plus anciennes enquêtes de l’histoire humaine car cette procédure n’a presque pas variée depuis 800 ans. Pour le Vatican, il s’agit d’ailleurs d’un moyen de communication planétaire : instruction des masses tout en renforçant le Sacré dû aux miracles.

Où en est la réalisation ?

Mon directeur de collection, toujours Didier Convard, a accepté le synopsis des trois premiers tomes de cette nouvelle série. Plus d’une trentaine de planches du premier tome en sont au stade du crayonné, et les principaux personnages ont trouvé leurs places. La série débutera en 180 après JC, dans l’arène, alors qu’un combattant Thrace décime sept autres gladiateurs inexpérimentés. Le dernier à recevoir le coup fatal serre dans sa main une médaille ornée d’un poisson [2]. De nos jours, Thomas Landon, consultant auprès de la Congrégation pour la Cause des Saints qui siège au Vatican, sera amené à se pencher sur ce médaillon après sa rencontre avec un auteur de best-sellers ésotériques, mais n’y voyez là aucune ressemblance avec des personnages existants ou ayant existés (rires).

Avez-vous une idée du nombre de tomes que vous prévoyez ?

Le marché de la BD est très productif actuellement, je souhaiterais ne pas refaire les erreurs de débutant du Linceul, où je me suis délayé au fur et à mesure du récit. Un seul album introduira la série, car je souhaite une rapide entrée en matière. Les albums suivants pourront être lus indépendamment des autres, mais une lecture cohérente apportera des éclairages révélateurs.

Quelle est la nature de votre personnage central, cet Éternel ?

On le voit peu mais il est l’objet de tous les intérêts. C’est un homme dont la particularité tient dans son exceptionnelle longévité. Pendant des siècles, ceux qui le croisent crient au miracle ou l’accusent de diableries. Pendant 20 siècles, la foi expliquait tout, bien qu’aujourd’hui, elle marque un net recul. L’Éternel souffre de sa situation, car les êtres qu’il aime meurent autour de lui. C’est un perpétuel survivant que la vie n’épargne pas. Il frôle la mort plusieurs fois, et songe également plusieurs fois mettre un terme a sa vie.

Et votre enquêteur confronté à cette énigme, sa foi va-t-elle s’en retrouver fortifiée ou ébranlée ?

Si la longévité de l’Éternel lui a conféré un statut de saint, pour Thomas Landon, il s’agit d’un paradoxe, car la première condition pour être canonisé est d’être décédé. Par son métier, Landon est amené à étudier rationnellement les miracles, les apparitions mariales, les statues qui pleurent et autres manifestations du Très-Haut, avant à rendre un avis auprès de la Congrégation pour la Cause des Saints. Son métier exige de lui une méfiance de tous les instants et une immense prudence. C’est un être, aussi étonnant que ça puisse paraître, profondément rationnel face à l’irrationnel : un incrédule parmi les crédules. Ce « saint » prétendument immortel ne l’intéresse pas. La supercherie lui paraît trop évidente. En revanche, le médaillon orné d’un poisson l’intéresse car il est authentique : il a appartenu à un des premiers chrétiens, sans doute un martyr. Quel lien y a-t-il entre cet éternel et cet objet éminemment symbolique ? C’est ce qu’il va tenter de découvrir.

Vous retrouvez-vous dans cette quête spirituelle, emplie de doute, que vous évoquez souvent dans vos personnages ?

Dans le Linceul, certains personnages doutent et d’autres non. Ces différences reflètent bien la vie : chacun pense avoir raison. Dans l’Éternel, c’est la longévité du héros qui intéresse ses poursuivants les plus déterminés. Ils se fichent bien de savoir si c’est un saint. Ils veulent l’attraper pour lui faire subir des examens et analyser son patrimoine génétique, son métabolisme, ses cellules... Tout ça dans le but ultime de mettre au point LE médicament anti-vieillissement. De colossaux intérêts financiers sont en jeu, au coeur de requêtes achéologiques, scientifiques et historiques. L’Éternel va vous surprendre car contrairement au Linceul, la question religieuse ne prime pas.

Avez-vous déjà des idées pour la suite, ou souhaitez-vous ne pas trop tirer sur la corde pour pouvoir aller visiter d’autres horizons ?

Avec un groupe de guides et d’amis, je prépare l’ascension du Mont-Blanc pour le mois de septembre . J’ai proposé à mon éditeur de réaliser un album à ce sujet. Ce projet pourrait logiquement trouver sa place dans le catalogue d’ouvrages sur la montagne de la maison Glénat. Pour ce qui est de L’Éternel, trois tomes de la série sont écrits, Le Saint, Le Sang du Martyr et Souviens-toi, Mathusalem..., pour la suite, l’horizon est ouvert. L’Éternel a toute l’éternité devant lui... mais il reste mortel.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

La parution du tome 1 de l’Eternel est prévue actuellement pour avril 2008.

Suivez l’actualité de Laurent Bidot sur son blog

[1Au dernier Festival d’Angoulême, Laurent Bidot était mis à l’honneur en tant que jeune espoir de la BD Chrétienne avec une exposition des planches du Linceul

[2Emblême des premiers chrétiens

 
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