Cosey fait partie de ces géants discrets de la BD. Son œuvre profonde et sensible nous enchante depuis que, au milieu des années soixante-dix, la série « Jonathan » avait redonné au journal des « enfants de 7 à 77 ans » un goût de Tintin au Tibet. Depuis, Cosey a discrètement arpenté toutes les pentes escarpées de la création de la bande dessinée : de la BD d’aventure classique à ce qui constitue une version « franco-belgisée » du graphic novel [1], en passant par le documentaire [2] ou la nouvelle [3]... Il a tellement pris goût à ces expériences diverses que Jonathan a été un peu oublié dans la neige éternelle de l’Himalaya (9 ans entre le tome 11 et 12 et quatre ans entre le 12 et le 13).
Mais on ne regrette rien. Ces expériences nous ont donné quelques joyaux inoubliables : Le Voyage en Italie, où deux adultes reviennent sur les traces d’un amour d’adolescence, À la Recherche de Peter Pan qui révèle un secret enfoui dans les montagnes valaisanes, Une Maison de Frank Lloyd Wright avec ses quatre histoires d’amour mesurées au temps qui passe, ou encore Orchidea, une touchante réflexion sur la nature des liens ténus de l’affection.
Avec Le Bouddha d’Azur, Cosey revient à une narration moins contemplative, même si le titre le contredit. On y retrouve les échos de Tintin au Tibet ou du Livre de la Jungle. Sur fond d’invasion du Tibet par les Chinois qui mènent au canon leur travail d’acculturation, le jeune Occidental Gifford Porridge rencontre la 5ème réincarnation de Lahl.
Un album de Cosey est toujours une fête pour les yeux. Son trait arrive à s’inscire dans la tradition de clarté qui est celle de l’école belge, mais sait aussi rendre hommage à ces esthètes du dessin que sont Pratt ou Milton Caniff. De la première, il corrompt la ligne claire par un trait interrompu qui restitue le naturel du dessin à main levée, des seconds, il retient un art du silence et de l’espace, de même qu’un habile traitement du noir et du blanc. Il en ressort un style original qui ne doit rien à personne et qu’illumine littéralement une mise en couleurs sensible, où la panoplie des bleus répond au chatoiement des couleurs chaudes.
Entre fascination et révolte, cette aventure du Bouddha d’Azur nous raconte un combat entre la force et l’esprit, entre le matérialisme et l’épanouissement spirituel à quelques milliers de mètres au-dessus de nos têtes : dans le silence blanc du toit du monde.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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