L’époque est à l’hyperbole, c’est peu de le dire. Sous le règne d’un président jupitérien, voilà que « Le Débat » la revue de l’historien Pierre Nora et du philosophe Marcel Gauchet, qui s’était donné pour mission, au début des années 1980, de « lutter sur deux fronts, contre la réduction médiatique d’un côté, la spécialisation universitaire de l’autre », annonce « le sacre de la bande dessinée » non sans ressentir un petit frisson face à un thème « qui n’est pas dans les cordes » de l’austère revue publiée par Gallimard.
Diantre, après le « Concile de Moulinsart » où Benoît Peeters se gargarisant de métaphores monarchiques parlait du « corps glorieux de Tintin, c’est cette fois la bande dessinée elle-même qui est sacralisée, accompagnée d’une procession de thuriféraires respectueux.
Cornaquées par Benoît Mouchart, ce sont de belles plumes qui viennent la défendre et l’illustrer : Pierre Assouline, Philippe Dagen, Hubert Védrine, Tristan Garcia, Jean-Marie Buissou et même Jean-Marie Le Clézio, un Prix Nobel de littérature, vous imaginez ? S’y joignent des signatures plus connues des bédéphiles : Thierry Groensteen, Jean-Pierre Mercier, Fabrice Piault, Vincent Marie, Lucie Servin ou David Vandermeulen qui, tous, nous expliquent la fabuleuse ascension du 9e art depuis 1833 et Rodolphe Töpffer, jusqu’aux mangas.
On n’évite ni les enfonçages de portes ouvertes universitaires avec leurs cortèges d’auto-citations, ni le rappel historique un peu lourdingue « parce-que-bon-on-a-affaire-à-des-non-initiés », ni les plaidoyers pro domo, ni les travers habituels des revues non-spécialisées : une place énamourée faite à Tintin et, dans un chapitre intitulé « La BD à l’école », les grandes vertus éducatives des histoires en images.
Tout cela est fait sérieusement par des gens compétents qui ont la vertu de bien écrire et parfois même, comme dans l’entretien accordé par Pascal Ory, de s’autoriser quelques fulgurances un peu hardies. Reste que de débat, il n’y a pas : aucune note discordante dans la chronique de « l’artification » (en français dans le texte) de notre chère bédé.
Le clou du numéro est quand même ce (très court) texte de Jean-Marie Le Clézio qui clame son amour pour Willy Vandersteen, Jacques Laudy et Bob De Moor, ce qui est quand même un peu bluffant, même s’il le partage avec celui pour le « Luc Orient de Raymond Reding » [Sic], et puis bien sûr pour Hergé, Franquin, Jacobs...
En toute liberté, il ajoute : « … je n’éprouve pas beaucoup d’intérêt pour ce que l’on appelle actuellement la BD pour adultes. »
Avant de conclure qu’il ferait peut-être exception pour le « manga » japonais ou coréen !... Qui sait si notre Prix Nobel ne figurera pas incognito dans un cosplay flamboyant la semaine prochaine à Japan Expo ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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