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Le feu de Saint Antoine - Par Nicolas Pegon - Ed. Réalistes

Par Romain GARNIER le 5 avril 2024                      Lien  
Dans un déluge graphique aux couleurs criardes et aux motifs fascinants, Nicolas Pegon s’inspire de la légende qui entoure le moine Antoine le Grand pour imaginer Le feu de Saint Antoine. Lauréat du Fauve Polar 2023 avec Hound Dog, l’auteur publie sa troisième bande dessinée avec une réflexion sur la foi et la finitude où se télescope le regard de deux époques sur la tentation. Une BD psychédélique aux Éditions Réalistes.

L’histoire s’ouvre sur la vie d’un monastère à l’aube du XVème siècle. En son sein, un moine s’éprend d’un doute, d’un sentiment irrépressible, celui du vide. Comment est-il possible pour lui de ressentir une telle chose quand Dieu, auquel il a consacré sa vie, est censé donner du sens à son existence ? Dans son dortoir, il prie à genoux. Il en vient à réclamer au tout-puissant un signe afin de revitaliser sa foi.

Entendu par un moine de passage, pris de panique, il le pourchasse en dehors des lieux et tente de l’assassiner. Soudain, sa vision se trouble, sa poitrine brûle, il ne perçoit plus le réel, seulement le noir du néant. S’engage alors un voyage psychédélique où le moine entame un dialogue spirituel avec Antoine, psychonaute du XXème siècle.

Le feu de Saint Antoine - Par Nicolas Pegon - Ed. Réalistes
© Éditions Réalistes
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Ergotisme, Feu de Saint Antoine et LSD

Afin de bâtir son histoire, Nicolas Pegon s’est inspiré d’une maladie connue au moyen âge sous le nom de « Feu de Saint Antoine » ou ergotisme. L’ergot de seigle est un champignon qui se développe sur certaines céréales dont le seigle qui servait à fabriquer du pain. Ce que le moine de cette bande dessinée consomme justement dans son monastère. Les symptômes comprennent des convulsions, des nausées, des maux de tête et des hallucinations similaires à ce que suscite l’ingestion de la drogue LSD.

Pourquoi surnommer cette maladie « le feu de Saint Antoine » ? Cette dénomination fait référence à Antoine le Grand, un moine considéré comme un fondateur du monachisme chrétien. Celui-ci aurait vécu treize années dans le désert. Une période durant laquelle il dut subir les assauts du diable et de divers démons tentateurs. Il aurait résisté à ses visions fantasmatiques qui auraient pu le détourner de Dieu. C’est pourquoi le moine, lorsqu’il fait la rencontre surréaliste de cet Antoine du XXème siècle, lui demande s’il est Saint Antoine.

« Mec il faut pas t’inquiéter j’te dis. Y a pas de seigneur. Il y a juste toi qui est en train de triper à la miche de pain en 1416 et moi qui t’ai rejoint avec un p’tit buvard. » (extrait de Le feu de Saint Antoine).

© Éditions Réalistes

Un graphisme psychédélique

Nicolas Pegon s’est surpassé dans l’imaginaire graphique proposé, assumant un psychédélisme visuel puissant et omniprésent, nourri de couleurs criardes au ton juste. Les références au christianisme sont pléthoriques (croix, lieux de culte, serpent, mouche, mont Sinaï, bûchers, batailles infernales, main de justice…) et se combinent à l’univers contemporain du psychonaute Antoine (boite de céréales, lino, vinyles, télévision, champignon nucléaire…).

Psychonaute est un terme qui nous rappelle l’esprit du mot « thanatonaute » de Bernard Werber, celui qui explore l’au-delà. Ici l’usage du mot psychonaute sous-entendrait qu’Antoine explore les hallucinations des humains à travers le temps et l’espace grâce au LSD. Le flou est entretenu, à l’image du récit.

Le feu de Saint Antoine est une bande dessinée qu’il est bon de lire et relire. Elle est une expérience pour le lecteur qui entremêle récit, graphisme et dialogues avec une force incontestable. Des choix portés jusque dans le lettrage. Les splash pages, bien que de modeste dimension du fait de la taille de l’ouvrage, impriment la rétine. Le temps de la lecture, chacun et chacune aura l’étrange impression de planer au-dessus des angoisses de ce moine tourmenté par le doute.

© Éditions Réalistes
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Réalistes, une maison d’édition à suivre…

Les Éditions Réalistes ont une place particulière dans le paysage éditorial français. En premier lieu, pour de la bande dessinée franco-belge, le format interpelle par son originalité. Chaque album est de petite taille (10.7 x 14.9 cm, soit moins qu’un manga) et compact, agréable à lire et à tenir entre les mains. Ensuite, chaque œuvre publiée est marquée par des choix graphiques forts et des choix de couleurs inattendus qui suscitent un vif intérêt à la lecture.

Enfin, les thèmes choisis par les auteurs résonnent avec la modernité (apparences et genres, tuerie de masse, la spiritualité, la mémoire collective, l’exploration de soi, la vie de couple) bien que le cadre relève régulièrement d’une forme de science-fiction. Les Éditions Réalistes sont portées par une génération d’auteurs et autrice trentenaires dont beaucoup d’entre eux sont passés par l’école des Gobelins avec pour chef de file Ugo Bienvenu (Préférence système – Grand Prix de la critique ACBD en 2020, Total, Paiement accepté…). Bref, une maison d’édition et des auteurs (Jonathan Djob Nkondo, Romane Granger…) à suivre.

© Éditions Réalistes

(par Romain GARNIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782490934195

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