Le mensuel Bang ! scrute le "péril jaune"

Au secours, "la BD asiatique dessine son empire" ! C’est le cri d’alarme qui figure en couverture du dernier numéro de Bang. Heureusement tout espoir de résistance ne semble pas perdu puisqu’on pourra toujours s’en remette à Supermurgeman, le héros déjanté de Mathieu Sapin ou encore au concombre masqué de Mandryka.

Le ton est donné : avec ce deuxième numéro de la nouvelle formule, Eric Borg imprime sa marque : une manière de ne pas se prendre au sérieux tout en faisant les choses ...très sérieusement. Nous avions déjà parlé de sa courageuse tentative de relancer le magazine jadis piloté par Casterman et Beaux Arts. L’entreprise est, on s’en doute, difficile : ajuster un ton novateur à un contenu riche et atypique, tout en présentant de jeunes auteurs à la démarche singulière, peu connus du grand public. Le contexte éditorial ne facilite guère les nouvelles revues dans un paysage marqué par la suprématie de l’album, l’expansion du manga et la concurrence des autres médias. Les dernières mésaventures de la maison Futuropolis avec la prometteuse collection 32 confirment, hélas, le caractère aventureux de démarches parfois trop innovantes ou mal comprises.

"Chaque fois que j’ai essayé de faire quelque chose de différent le public n’en voulait pas", souhaitons que ce constat un peu désabusé, tiré de l’entretien que le papa du célèbre concombre a accordé à Jérôme Briot, ne s’applique pas à un magazine qui ne céde pas à la facilité, creusant au fur et à mesure son sillon, entre la promotion d’une BD alternative et la présentation de dossiers thématiques solides, sans négliger les origines du genre.

Outre les entretiens avec Mandryka, Mathieu Sapin et Clément Oubrerie (auteur de Aya de Yopougon, collection Bayou chez Gallimard), on appréciera tout particulièrement une enquête plutôt bien faite sur le paysage de la BD asiatique, riche en infos et bien documentée, qui se lit agréablement grâce à une mise en page claire et lisible.

Du côté des prépublications, la série Nord de Chaigneau et Poulain semble prendre un virage nettement fantastique et promet bien des rebondissements. Plus exigeant, tant sur le plan du graphisme que sur celui de la narration le Colibri de Guillaume Trouillard se joue habilement des contraintes de mise en page formatée et consensuelle sans pour autant user de superhéros ou d’effets d’aérographe, mais en explorant les ressources d’une approche poétique et sensible du monde et de ses images. Plus "perturbés" sont les univers de Sylvain Gérand, qui prend un malin plaisir à briser l’aspect "cartoon" de ses productions pour nous livrer des récits férocement drôles et dynamiques. Avec Insectory, J.Maïe, malgré un cousinage un peu encombrant avec l’univers de Blanquet que d’aucuns n’ont pas hésité à lui reprocher, n’est pas en reste et nous donne à voir les visions sacrément agitées de quelques écoliers pas si sages : une histoire en rouge et noir, à tout point de vue ! Axel Dana avec Carapaces nous laisse un peu de répit avec le second épisode du road movie Minestrone qui continue de se dérouler à petite vitesse. Les échanges entre les deux protagonistes distillés au rythme de ce curieux voyage laissent présager un dénouement inattendu dans la chaleur d’un d’après-midi, quelque part dans le nord de l’Italie. A suivre, donc.

Dans la partie rédactionnelle, au-delà des traditionnelles critiques de nouveautés et annonces d’évènements variés (expositions, salons divers, et... d’hiver !), la palme revient sans doute à la page "Vintage", sous-titrée "Une année, un album". Xavier d’Almeida s’appuie sur un extrait, et le resitue dans son contexte historique. Plus qu’un exercice de style ou un simple "flash back nostalgique", c’est aussi une opportunité pour "décortiquer" une case, un gag ou une oeuvre qui a bien marqué toute une génération de lecteurs. L’exemple du mois concerne le savoureux "Proud Mary" extrait de la Rubrique à Brac du génial Gotlib. Une façon irrévérencieuse et sympathique de clore avec "le meilleur de la BD" comme se plaît à le souligner la manchette de Bang.