Dans le viseur, la dédicace, cet acte gratuit offert au lecteur avec cette analyse relayée dans un communiqué du SNAC BD : « Passer un weekend loin de chez soi, accueilli dans des conditions souvent confortables mais parfois discutables, beaucoup d’auteurs commencent à y rechigner. Certes, il y a le plaisir de retrouver les camarades du métier, parfois les organisateurs devenus des amis, et bien sûr les lecteurs. Mais il y a aussi la fatigue accumulée, le temps passé et le manque à gagner qui va avec. Pour bon nombre d’auteurs-trices dont la situation est extrêmement précaire, ce coût n’est plus envisageable. La limite est atteinte, et la bonne volonté des auteurs, qui a permis à nombre de festivals et salons de se développer, ne saurait persister encore bien longtemps. »
Et le SNAC BD d’ajouter : « Ne pas reconnaître que cette présence régulière, assidue, de ces auteurs et autrices permette aussi aux éditeurs en place de vendre des milliers d’albums à un public venu uniquement rencontrer ces mêmes auteurs, voilà ce qui serait contre nature. Albums sur lesquels, puisque les droits générés viendront très souvent juste compenser leurs avances, la plupart des auteurs et autrices ne retoucheront pas un centime. »
Un vrai problème
Il est vrai que l‘on dénombre plus de 300 festivals de BD en Francophonie et plusieurs milliers de séances de signature en librairie. Il est vrai qu’elles sont le plus souvent assorties de dessins qui se retrouvent parfois dès le lendemain sur Ebay, sur Catawiki ou au Bon coin. Il est vrai que ces festivals trouvent grâce à cela le moyen de vendre leur ticket d’entrée plus ou moins cher, qu’ils obtiennent quelquefois des subventions, surtout les plus organisés d’entre eux, et que les libraires ont ce point d’appui pour booster leurs ventes. Mais la grande majorité de ces acteurs (festivals, libraires...) ne sont pas moins précaires ni moins généreux que les auteurs qu’ils invitent...
Cette revendication -parfaitement légitime- rencontre des réserves chez certains auteurs : « Voilà une polémique que j’ai du mal à comprendre, écrit Marc Bourgne sur sa page Facebook : les dédicaces payantes. Nous n’avons aucune obligation à nous rendre dans des salons, des festivals ou des librairies. D’ailleurs, nombreux sont les auteurs qui ne dédicacent jamais. Alors quel est le problème ? Nous sommes libres de faire ce que nous voulons : dédicacer gratuitement, faire payer les dédicaces, ne pas dédicacer... Il y a quelques années j’avais décidé de faire payer mes dédicaces ; je prévenais les organisateurs de festivals et les libraires pour qu’ils préviennent à leur tour les lecteurs, et voilà. Je suis finalement revenu rapidement à la gratuité parce que ça me gênait de faire payer à des gens qui avaient fait la queue pendant plusieurs heures et qui avait acheté mon album un dessin qui me prenait dix minutes. »
Il ajoute aussitôt : « Par contre, lorsqu’on me demande une dédicace plus sophistiquée (par exemple en couleur) je la fais chez moi et je la fais payer. Un dessinateur avec qui je travaille propose en festival une dédicace simple (une tête au crayon) et si ses lecteurs veulent une dédicace plus sophistiquée (tête encrée, personnage en pied) ils payent. Toutes les formules sont possibles et il n’existe aucune obligation. Si un auteur veut faire payer ses dédicaces dans un festival et que l’organisateur refuse, et bien il n’y va pas et puis c’est tout. Encore une fois, je ne comprends pas le problème. »
Une déclaration polémique
À l’origine de cette montée de fièvre, il y a cette déclaration de Jacques Glénat, fondateur et PDG des éditions Glénat, montée en épingle par le site Actualitté aux Rencontres nationales de la librairie, à Marseille : « L’auteur qui fait une conférence, cela me parait normal qu’il soit rémunéré, mais celui qui vient faire la promotion de son livre, rencontrer des gens, je ne vois pas pourquoi on le payerait, c’est déjà une opportunité. Qu’on soit payé pour signer un livre, je trouve cela presque contre nature, car l’auteur est content de partager son travail avec les gens, d’entendre des questions, des commentaires... Ce serait un rapport un peu bizarre… »
Déclaration qui fait hurler le SNAC BD, d’autant qu’il ajoute, faisant probablement allusion à une déclaration récente de François Schuiten sur ActuaBD : « Que tout le monde n’arrive pas à en vivre, c’est un peu comme si un sculpteur ou un peintre expliquait qu’il arrêtait parce qu’il n’arrive pas à vendre ses œuvres. Oui, c’est embêtant, mais malheureusement, c’est le succès qui fait la différence. ».
Sur ce dernier point, le SNAC BD se fait cinglant : « Il appuie donc cette regrettable hypocrisie qui veut faire peser sur l’auteur seul la responsabilité du succès de son œuvre. Comme si l’éditeur n’avait rien à y voir. Or, rappelons-le encore une fois : la vente n’est pas le travail de l’auteur, mais bien celui de l’éditeur, c’est même principalement pour ça qu’on lui cède les droits d’exploitation de nos œuvres ! Le fait que deux éditeurs majeurs du secteur partagent cette vision des choses nous semble en soit aussi révélateur que problématique. »
Jean-Pierre Dionnet, pourtant, auteur devenu éditeur puis redevenu auteur, rejoint cependant sur sa page Facebook le point de vue de Jacques Glénat : « Non, ce n’est pas naturel… Ça dépend. C’est comme faire payer les petits festivals pour les signatures. Il faut une géométrie variable : suivant les budgets des festivals, suivant les envies des auteurs, et leurs besoins propres. […] Et je pense au cauchemar de San Diego, aux tickets achetés d’avance, à la queue de gens qu’on refuse : l’auteur avait une demie-heure. Je pense à Margerin qui adorait comme Moebius y aller tous les week-ends un temps, et chiader des dessins : LEUR SUCCÈS S’EST AUSSI FAIT AINSI… » [1]
Qui va payer ?
Reste la question de savoir qui va payer ? « Les auteurs de BD se tirent une balle dans le pied, nous dit un organisateur de salons du livre. S’ils veulent être payés, nous ne les inviterons plus, c’est simple, ou seulement les plus grandes stars. »
Jacques Glénat, dans son intervention à Marseille va dans ce sens : « Comme l’a montré une étude présentée ce matin, un des freins des libraires à faire venir les auteurs, ce sont les coûts » Il rappelle que l’éditeur finance bon nombre de ces événements en intervenant dans les frais de déplacement des auteurs. Il est vrai qu’à Angoulême, les auteurs invités par l’éditeur reçoivent chez Glénat le gite et le couvert et que la seule présence d’un stand (souvent déléguée à un libraire) signifie des coûts de location de matériel et du personnel sur place (responsables éditoriaux, communicants, agents commerciaux…) Et Glénat d’ajouter : « Si ces salons doivent en plus payer les auteurs pour leur temps de présence, je ne sais pas comment ils vont réussir à équilibrer leurs comptes. Finalement, c’est l’État qui va se retrouver à payer… »
Or l’état, c’est nous. Alors que la dédicace soit payante pour le consommateur ou que ce soit finalement le contribuable qui paie, qu’est-ce qui est le plus juste ? La réponse nous semble évidente, mais on peut se demander où tout cela va nous mener…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Photos ; D. Pasamonik (L’Agence BD)
[1] Nous nous sommes permis, pour des raisons de lisibilité, de corriger l’orthographe de ces posts rédigés parfois à la va-vite. NDLR.
Participez à la discussion