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Mickey, la grande et la petite histoire

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 novembre 2014                      Lien  
Les éditions Glénat et Disney viennent de publier une somme qui raconte la fantastique histoire de la version française du Journal de Mickey, de 1934 à nos jours.

Jacques Glénat peut être content. Lui qui a racheté la marque Opera Mundi et qui est depuis toujours un admirateur de Paul Winkler (le créateur du Journal de Mickey et fondateur d’Opera Mundi), de Walt Disney et de Mickey ; lui qui, depuis quelques années maintenant, est devenu l’éditeur de référence pour les bandes dessinées de l’univers de Walt Disney et de ses grands auteurs : Gottfredson, Barks, Cavazzano... qu’il réinstalle auprès des jeunes lecteurs en librairie, vient nous offrir le plus beau des cadeaux en cette année des 80 ans du Journal de Mickey, ce "monument de la presse" : un livre-somme signé par le journaliste belge Patrick Weber qui retrace son histoire.

L’ouvrage est somptueux, magnifiquement édité et comporte de nombreux fac-similés : l’exemplaire complet du premier numéro de 1934, le fac-similé du N°296 de 1940, des goodies, des hommages... et puis surtout un parcours historique du journal, de 1934 à nos jours.

Le Journal de Mickey, c’est vraiment une invention de Paul Winkler, un immigré hongrois qui avait obtenu la nationalité française au milieu des années 1920, fondant dans la foulée l’agence de presse Opera Mundi Service, devenue la mythique Opera Mundi chantée par Serge Gainsbourg dans Comic Strips.

Quand il imagine faire un journal dédié à Mickey Mouse, dès 1933, il fait le constat que les "illustrés" de l’époque, de L’Épatant et du Petit Illustré de la S.P.E. des frères Offenstadt, jusqu’au très catholique Cœurs Vaillants de l’Union des œuvres et à Mon Camarade de la Fédération des enfants ouvriers et paysans, proche du PCF, souffraient d’un excès de pédagogisme avec leur ton éducatif lénifiant, leurs archaïsmes, dont le moindre n’était pas cette manie de mettre les textes sous les images. Il s’agissait bien d’ "illustrés" et non de bande dessinée, au sens moderne. Winkler va créer une presse distractive "grand public" connectée avec un média émergent : le cinéma.

Winkler peut se permettre de lancer Mickey parce qu’il l’avait testé avant : Opera Mundi avait obtenu l’exclusivité de la diffusion en France des bandes dessinées de la King Feature Syndicate (KFS), un agence distributrice de bandes dessinées créée en 1914 par le magnat américain de la presse William Randolph Hearst et son manager Moses Koeningsberg (d’où l’origine du nom : King, traduction anglaise de l’allemand Koenig) parmi lesquelles les plus fameuses de l’époque : Katzenjammer Kids (Pim, Pam, Poum), Bringing Up Father (La Famille Illico), Buz Sawyer, Flash Gordon, Krazy Kat, The Little King, The Phantom (Le Fantôme du Bengale), Mandrake, mais aussi des licences du cinéma comme Betty Boop, Felix le chat ou Popeye. Mickey rejoint très vite ce catalogue et devint l’un de ses personnages les plus populaires à mesure de l’avancée du succès de Walt Disney dans les salles obscures.

Mickey, la grande et la petite histoire
"La Grande Histoire du Journal de Mickey" par Patrick Weber
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Winkler a le nez fin : il sent que Mickey a du potentiel et le "travaille" dans la presse française depuis 1930 dans Le Petit Parisien (un quotidien qui, avec une diffusion de plus de deux millions d’exemplaires par jour, pouvait se targuer du plus fort tirage de presse au monde) et surtout avec des petits albums pour la jeunesse chez Hachette qui s’avèrent être rapidement des succès de librairie.

Cette alliance, très moderne, entre le cinéma et l’édition, Winkler l’avait vu venir. Il est le premier au monde à demander la licence du personnage de Mickey pour en faire le titre d’un magazine, son modèle éditorial étant souvent imité par la suite. Il demande l’autorisation de Walt Disney de faire un journal dédié à son personnage, ce qui lui est accordé distraitement.

L’objectif de Winkler est de créer un journal tout en couleurs, avec comme contenu le matériel de la KFS (pour ne pas donner l’impression de privilégier une seule licence et pour écraser la concurrence, il lança ensuite, avec le même succès Robinson puis Hop-Là). Il n’a pas trop de mal à associer la Librairie Hachette à son projet, vu le succès de ses livres en librairie. Mais surtout, le journal est blindé de publicités : les chocolateries Menier, les salles de cinéma Cinéac, le fromager La Vache qui rit, les cinémas Pathé-Nathan..., première source de profit pour une presse moderne.

Mickey triomphe en kiosque

Le succès est au rendez-vous : les 400 000 exemplaires sont atteints d’entrée. Il sonne le glas de nombreux titres jeunesse en kiosque : La Jeunesse illustrée, Les Belles Images, L’Écho de Noël, Le Petit Illustré, L’Intrépide, Cri-Cri, Guignol, Les Jeunes de France meurent dans les trois ans qui suivent. On parle d’une "américanisation brutale" de la presse qui est encore renforcée par l’arrivée en France des éditeurs italiens, chassés par le fascisme, Cino Del Duca (Hurrah, L’Aventureux...) et Ettore Carozzo (Jumbo, Aventures...). On ne manquera pas de souligner les origines étrangères ces éditeurs qui diffusent le matériel américain. Celui-ci est surtout meilleur marché que celui de ses concurrents qui doivent financer leurs créations.

Ce succès provoque bien des ressentiments, de la part des créateurs français d’abord qui font pression pour que leur profession soit préservée, des ligues de vertu ensuite activées par les lobbies catholiques et communistes, eux-mêmes éditeurs de journaux pour la jeunesse, mécontents du succès de ce concurrent autant pour des raisons économiques qu’idéologiques. Ils se déchaînent contre la "presse Winkler".

Exil et occupation

La "Drôle de guerre" pousse Winkler à quitter la France avec ses trois enfants pour New York. Il fait bien : en 1940, le "Juif Winkler" se voit retirer sa nationalité française par Vichy. Pour préserver le Journal de Mickey, Winkler avait divorcé et mis son entreprise au nom de sa femme, Betty Dablanc, qui n’est pas juive et qui donc échappe à "l’aryanisation", au contraire de ses concurrents Offenstadt. Le Journal de Mickey paraît toute la guerre, rapidement expurgé de ses bandes dessinées américaines.

À la Libération, le Conseil National de la Résistance, où l’on retrouve les Catholiques et les Communistes, s’emploie à mettre les bâtons dans les roues du retour annoncé de Mickey, en raison d’une interdiction générale de publication de tout titre paru pendant la guerre. C’est pourquoi Mickey ne ressortira sous ce titre qu’en 1950, d’abord en Belgique, puis en 1952 en France.

"La Grande Histoire du Journal de Mickey" par Patrick Weber
(c) Disney / Glénat

Mais l’après-guerre est surtout marquée pour Winkler par le développement de son agence et de titres de presse divers, magazines féminins et quotidiens qui en font le rival d’autres grands patrons de presse comme Pierre Lazareff (il lui rachètera France Soir en 1972, avant de le revendre au groupe Hersant) ou Cino Del Duca, son concurrent de bande dessinée d’avant-guerre !

Ces dernières analyses ne figurent pas dans cet ouvrage qui se veut grand public et qui parcourt toute l’histoire du journal à coup de petits paragraphes informés et très bien écrits.

Ils sont entrecoupés d’entretiens : Winkler, le scénariste Corteggiani, le directeur artistique du journal François Pasquet, du traducteur Jean-Paul Jennequin, de l’actuel directeur Jean-Charles Lajouanie, les auteurs Florence Cestac, Marc Cuadrado, Philippe Larbier, les rédacteurs-en-chef Jean-Luc Cochet et Edith Rieubon,... et de suppléments ludiques qui sont ceux qui ont accompagnés le journal depuis sa création. Un livre-objet épatant !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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