On le détestait ou on l’adulait. Il avait pour certains l’image d’un éditeur méprisant, cassant, sectaire, pour d’autres, c’était un être cultivé et exquis, capable de citer aussi bien le philosophe Adorno et ses théories sur la culture de masse qu’un gag de Gaston Lagaffe de Franquin.
Viré en 1968 de l’ORTF puis devenu le rédacteur-en-chef adjoint de Pif Gadget l’année suivante, il avait été recruté en 1977 chez Casterman pour rejoindre son directeur littéraire Didier Platteau (aujourd’hui patron des éditions Moulinsart) et prendre la direction d’une revue construite autour d’Hugo Pratt et dont les intentions, si l’on en croit l’éditorial du premier numéro, sont clairement littéraires : « (A Suivre) sera l’irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature » écrit Mougin en 1978. Ce slogan programmatique préfigure l’avènement du Roman Graphique bien avant l’arrivée de Maus et de Persepolis.
Il faut dire que dès avant (A Suivre), Casterman avait fait dès 1975 un carton en librairie avec La Ballade de la mer salée d’Hugo Pratt, un auteur que Mougin avait connu chez Pif. Paru en janvier au Festival d’Angoulême 1975, l’album reçut le Prix de la Meilleure BD étrangère l’année suivante. Pour la vieille maison Casterman, assoupie sur les succès de Tintin et de Martine, l’éditeur des Pages Jaunes belges, il y avait là une voie de diversification, d’autant moins risquée que l’impression était en noir et blanc.
En réalité, c’est la bande dessinée pour adultes qui scelle là son avènement. La même année que La Ballade paraissaient Métal Hurlant, Fluide Glacial et Circus, initiant trois courants de bande dessinée dont les surgeons prolifèrent aujourd’hui encore.
Une ambition littéraire
Ce qui distingue (A Suivre) des autres journaux, c’est son ambition littéraire, sa volonté d’imposer d’autres formats, d’autres rythmes d’écriture et de lecture, bien avant que certains ne s’en arrogent la propriété.
Auparavant, en effet, la bande dessinée pour adultes passait par les poncifs de la contre-culture : sexe, science-fiction, polar et Rock ‘n roll. Avec (A Suivre), Casterman se veut le « Gallimard de la BD ».
À ce moment, avec comme tête de pont à Paris le directeur commercial Louis Gérard, Casterman est le faiseur de rois de la BD, captant à son profit exclusif les Grands Prix d’Angoulême.
(A Suivre), dont la maquette du premier numéro était conçue par Étienne Robial, vit défiler un casting d’auteurs éblouissant : Hugo Pratt, Tardi & Jean-Claude Forest, Claude Auclair, Comès, Schuiten & Peeters, Munoz & Sampayo, Manara, Régis Franc, Sokal, Geluck, Ted Benoit, Loustal, Jean-Claude Denis, Bézian, Desberg & Johan De Moor, le groupe Bazooka, Cabanes, Pétillon, Tito, etc.
Le mensuel se racrapota jusqu’à s’arrêter en 1997 après 239 numéros, dans une dernière livraison intitulée « Arrêt sur images » ponctuée du mot « fin ». Une fin qui correspond au déclin de la maison Casterman, bientôt reprise par Flammarion qui sera elle-même absorbée par le groupe Rizzoli.
Jean-Paul Mougin prit sa retraite à Bruxelles et resta dans un paisible anonymat un peu forcé par un cancer de la gorge contre lequel ce grand fumeur lutta pendant des années. Il fut un des éditeurs marquants de la BD francophone du 20e siècle.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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La photo de Jean-Paul Mougin est © Joan Navarro
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