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Paul Derouet : « La BD franco-belge a perdu de son influence en Allemagne. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 juin 2004                      Lien  
Avec ses quelque 120 exposants, le Festival d'Erlangen, une petite ville universitaire située à quelques kilomètres de Nuremberg accueille, tous les deux ans, le nec plus ultra de la BD internationale. Rencontre avec l'une des chevilles ouvrières de cet important Festival européen, le « Français de l'étape », Paul Derouet.

Cette année encore, des auteurs comme Albert Uderzo, François Bourgeon, Claire Wendling, Joost Swarte, Midam, Dave McKean , Jason Lutes, Igort ou Marjane Satrapi honoraient le salon de leur présence tandis que, sur les cimaises, les badauds pouvaient admirer les œuvres de Lorenzo Mattotti, Milton Glaser ou Moebius.

Paul Derouet : « La BD franco-belge a perdu de son influence en Allemagne. »  Vous êtes français et vous habitez l’Allemagne, où vous exercez le métier d’agent et par ailleurs de conseiller artistique du Festival d’Erlangen, quel est votre itinéraire ?

Mon itinéraire un peu atypique relève pour une bonne part du hasard de quelques événements et rencontres imprévus, peut-être aussi d’une curiosité pour ces imprévus. Habitué à déménager (dix ans d’enfance au Maroc, scolarité et d’études aux quatre coins de la France, puis huit années d’enseignement dans le Gard), mon absence de racine m’a sûrement aidé à boucler mes valises assez rapidement. J’ai donc débarqué à Hanovre en 1980, ayant rencontré par hasard Hartmut Becker et Andreas Knigge, qui y dirigeaient à l’époque une petite maison d’édition et surtout la revue Comixene, et qui souhaitaient ouvrir une librairie de bandes dessinées. J’ai donc terminé l’année scolaire 79-80 comme instituteur gardois et commencé la suivante comme libraire allemand (jusqu’en 82). La bande dessinée allemande était alors embryonnaire. Sans être un vrai lecteur de bande dessinée, j’avais tout de même vaguement perçu l’existence - et l’importance - de mots comme Pilote, Métal Hurlant, Charlie ou (A Suivre). A Hanovre, je me retrouvais soudain 15 ans en arrière, dans l’univers de Spirou, Alix et Prince Vaillant :, en soi une excellente compagnie, mais un peu déroutante par rapport à l’explosion française de l’époque. Je suis devenu agent en 1983, lorsque j’ai présenté aux éditeurs français l’auteur allemand Matthias Schultheiss et l’Autrichien Chris Scheuer. J’ai créé la même année, avec Hartmut Becker, l’agence Becker-Derouet, qui représentait en Allemagne plusieurs éditeurs européens, entre autres Albin Michel, Delcourt, Futuropolis, La Cúpula. Cette agence a cessé ses activités en 1992. La même année, j’ai ouvert l’agence Contours, plus ouverte sur le monde de l’illustration, mais représentant une majorité d’artistes issus de la bande dessinée (Loustal, Mattotti, Moebius, Petit-Roulet...). Parallèlement à cette activité, j’ai toujours été impliqué, de plus en plus au fil des années, dans l’organisation du Salon d’Erlangen.

Une affluence record
Photo : Erich Malter - Comic Salon Erlangen

-  Comment se porte la BD en Allemagne ? Les auteurs franco-belges y sont-ils encore représentés ?

Elle se porte à peu près comme ailleurs en Europe (à l’exception notable de la scène franco-belge), donc assez mal. Le marché allemand de la BD repose depuis trente ans sur les importations de séries étrangères. Je suis assez critique à l’égard des gros éditeurs allemands qui ont toujours fui les prises de risques et préféré importer des série éprouvées plutôt que de donner leur chance à de jeunes auteurs du cru. Durant les années 80-90, l’essentiel des parutions allemandes était d’origine franco-belge, après deux décennies plutôt américaines. Nous en sommes très loin aujourd’hui. D’une part, le marché s’est réduit, plusieurs éditeurs ont disparu et le lecteur de "franco-belge" a pris de l’âge. D’autre part, la génération des 8-18 ans semble hypnotisée par les mangas. Ce mot tend d’ailleurs à remplacer dans le langage courant le mot "Comic", traduction allemande de "bande dessinée"
(révélateur : ce mot n’existe pas de mot allemand !).

Albert Uderzo à Erlangen
Il a reçu le Prix Max und Moritz en 2004. Photo : Erich Malter - Comic Salon Erlangen

-  Erlangen est en quelque sorte le « Angoulême allemand ». En quoi êtes-vous associé à ce projet ?

Erlangen a lieu tous les deux ans. Comme je l’indiquais plus haut, j’ai été impliqué dans ce salon dès ses débuts, en 1984. Etant un peu le "Français de service", j’assurais les contacts avec les auteurs et éditeurs de la scène franco-belge : invitations, organisations des expositions, etc. J’ai également créé en 1986, en collaboration avec l’Institut Français d’Erlangen et les services culturels de la Ville, le Comic-Seminar, un stage de jeunes dessinateurs qui a lieu tous les ans et qui en est à sa 19ème édition. Mon implication s’est accrue lors des dernières années et pour cette édition 2004, j’ai travaillé en permanence avec les responsables du Salon, proposant et coordonnant une bonne partie des expositions (Swarte, Igort, Canepa-Barbucci, Max...). Une particularité d’Erlangen, par rapport à d’autres manifestations comparables en Europe, tient à la structure organisatrice. C’est le Kulturamt (l’Office Culturel) qui est directement maître d’œuvre. Son cahier des charges fait donc une large place aux expositions et à leur présentation. C’est donc un Salon plutôt... "culturel", même s’il fait des efforts pour toucher le grand public.

Le "Comic Seminar"
dirigé par Paul Derouet. Photo : Erich Malter - Comic Salon Erlangen

-  Quel est statut de la BD en Allemagne ?

La bande dessinée fait toujours figure de parent pauvre en Allemagne, même si la presse et les milieux intellectuels ont fini par lui reconnaître un certain droit de cité. Elle a du mal à se dépêtrer de l’appellation "Comic", au départ très réductrice. Et je ne pense pas que remplacer "Comic" par "Manga" changera grand-chose à cette perception. Actuellement, il y a d’un côté les mangas, en position presque monopolistique et, de l’autre, la petite scène des éditeurs et auteurs dits « indépendants ». Au milieu, il n’y a plus grand-chose et c’est dans ce milieu que se situe l’influence franco-belge. C’est un peu comme s’il ne subsistait en France que Glénat et L’Association. Cette situation est assez difficile à vivre pour les jeunes auteurs, de plus en plus nombreux et souvent d’un excellent niveau, mais qui n’ont pratiquement aucune chance de vivre de leur travail. Les auteurs allemands sont vraiment des gens enthousiastes et amoureux de leur art. Mais l’attitude des gros éditeurs et la réalité du marché en font plutôt des amoureux éconduits. Certains tentent donc leur chance à l’étranger, en particulier en France : Martin Tom Dieck, Ulf K., Uli Oesterle ou Jens Harder, pour en citer quelques uns. Mais restons optimistes. La bande dessinée allemande ne connaîtra sûrement jamais une audience comparable à ce que l’on voit en France, elle subit le contrecoup de la crise économique qui touche l’Allemagne depuis plusieurs années, mais elle n’a jamais disposé d’autant de talents. La nature a horreur du vide : si l’offre existe, la demande devrait bien finir par suivre.

Propos recueillis par Didier Pasamonik le 23 juin 2004.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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1 Message :
  • Grand mot, mais l’offre, ce n’est pas l’existence des jeunes dessinateurs, mais la manque des librairies ou on trouve de la BD. Ainsi, la production souffre parce que les librairies traditionelles se refusent et les librairies spécialisées font faillite. En Allemagne, une vente de deux mille exemplaires pour, par exemple, “Le décalogue” est déja extraordinaire.

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    • Répondu par Lopiam le 28 juin 2004 à  22:32 :

      une énigme, pour moi : comment se fait-il que Titeuf ne marche pas bien en Allemagne ? humour inadapté au marché allemand ? protectionnisme du marché local, qui empêche la diffusion massive du garçon à la houpette ? quelqu’un a-t-il une explication à cette bizarrerie ?

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      • Répondu par Alsaco le 24 septembre 2004 à  20:28 :

        "Comment se fait-il que Titeuf ne marche pas en Allemagne ?" (Citation) Je ne sais pas mais j’aurais volontiers eu l’impression que Titeuf marchait essentiellement en France et probablement beaucoup moins dans tous les autres pays où la BD a encore quelques relents de contre-culture... Ai-je tort de penser que Titeuf and co. c’est très (trop) polotiquement conforme, consensuel, conformiste etc. ?

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