Federica est une jeune fille de quatorze ou quinze ans et vient passer ses vacances, comme tous les étés, dans le village de Sestrières situé au cœur des Alpes italiennes, non loin de Turin d’où elle est originaire. Elle s’y ennuie sans doute un peu, mais passe de bons moments avec ses amis, en particulier Giorgio, compère et confident, et Noemi, qui habite le village où sa réputation de fille délurée lui vaut autant d’admiration que d’inimitié. Federica passe beaucoup de temps à discuter, en vrai ou par messagerie, à se promener et à dessiner, découper et filmer de petits personnages. Elle tient aussi une sorte de journal intime, assez sec et un peu froid, qu’elle enregistre directement avec son téléphone.
Un matin, à la suite d’une soirée quelque peu mouvementée, Noemi s’est volatilisée et - drame ! - a perdu son téléphone portable. A part Federica, personne ne s’inquiète de cette disparition. Il faut dire qu’elle ne date que de quelques heures et que Noemi est coutumière du fait. Federica se lance néanmoins à sa recherche, embarquant Giorgio avec elle. Il s’agit alors de reconstituer à la fois le fil de la soirée de la veille et la personnalité de Noemi. Federica et Giorgio sont donc amenés à rencontrer les protagonistes de cette "affaire", à les interroger - ou du moins à essayer - et jouent par là même avec leurs émotions.
Lucia Biagi dépeint fort bien cette adolescente encore fragile, sensible et intelligente, peu sûre d’elle mais courageuse. Avec une histoire somme toute banale, elle parvient à retracer le cheminement psychologique de son personnage. Sortant de l’enfance, Federica se trouve confrontée, en fréquentant Noemi, à un monde des adultes qu’elle a encore du mal à appréhender. S’interrogeant sur la personnalité de son "amie", elle en vient à prendre conscience de sa propre identité.
Lucia Biagi creuse avec ce nouveau livre édité par les Editions ça et là un sillon qu’elle maîtrise bien. Comme dans Point de fuite, elle transcrit habilement les émois de l’adolescence. Avec des personnages simplement caractérisés mais assez réalistes, elle parvient à rendre extraordinaire le récit d’une journée finalement commune. Le point de vue adopté - majoritairement celui de Federica - nous permet de comprendre les réactions des personnages principaux et le ton, familier sans être grossier, sonne vrai.
La dessinatrice italienne a choisi, pour la mise en images de son récit, un trait fin et des couleurs étonnantes - une bichromie plutôt vive de vert et de violet, à laquelle le lecteur s’habitue assez rapidement. Alors que le visage des personnages est esquissé et très légèrement inspiré du manga (pour la mise en valeur des yeux), les décors sont dessinés avec réalisme, sans excès de détails toutefois. Ce style très lisible permet à la fois de rendre l’état d’esprit de Federica et de laisser la primauter au déroulement de l’action.
La construction du récit n’est d’ailleurs pas simpliste. Lucia Biagi, par de judicieux retours en arrière et par la mise en abyme que constituent les dessins de son héroïne, nous fait découvrir pas à pas et en parallèle les personnalités de Federica et de Noemi. Ce livre plaira donc aux adolescents, tant par sa construction que par les thématiques abordées - relations entre amis, interrogation sur l’identité, confiance en soi, utilisation des nouvelles technologies. Mais les lecteurs adultes auraient tort de laisser de côté Sestrières [1], qui se révèle être un agréable moment de lecture.
Voir en ligne : Le site de l’auteur
(par Frédéric HOJLO)
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15 x 22 cm - 208 pages en bichromie - titre original : Misdirection - traduit de l’italien par Aude Lamycommander - parution le 13 février 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
Consulter le site de Lucia Biagi.
A lire sur ActuaBD : Point de fuite - Par Lucia Biagi (trad. M. Bovorasmy) - ça et là.
[1] Nous noterons d’ailleurs que ce titre choisi pour l’édition française paraît moins approprié au récit que celui de l’édition originale : Misdirection.