On suit les péripéties de Spider Jerusalem, ancien journaliste et écrivain de renom retiré à la montagne depuis cinq ans, devant bon gré mal gré reprendre le chemin de La ville pour clôturer un contrat ; une occasion pour lui de reprendre son statut et de redécouvrir, avec nous, une ville en mutation constante.
Bien vite, sur la seule qualité de son renom, Spider se retrouve à la tête d’une chronique dans un journal, avec un éditeur aux fesses pour le rappeler à sa ponctualité. Qui, très vite débordé par l’exubérant personnage, lui confie une assistante pour tenter de le canaliser, offrant ainsi un panel de personnages variés, même si Spider demeure au centre de toutes les attentions. C’est donc avec cette équipe de choc que nous allons découvrir La ville.
Classique tour de passe-passe permettant d’appréhender la ville au rythme de l’acclimatation de Spider, et de ne pas se perdre en route par la richesse du monde décrit, guidé par notre protagoniste. Warren Ellis évite ainsi un classique écueil si propre à la science-fiction en nous livrant un univers certes riche, mais surtout réfléchi, cohérent et jamais grotesque.
Et pourtant, il ne se prive pas pour perdre le lecteur dans les méandres les plus profonds du grand n’importe quoi -mais toujours structuré-, en brassant nombre de thèmes avec une évolution constante dans le ton de ses histoires, passant avec facilité de la légèreté cynique du sarcasme à des inflexions plus graves lorsqu’il s’agit de ne pas diminuer d’intensité les épisodes plus dramatiques qui parsèment le récit.
Vibrant hommage au journalisme gonzo [1] et à son créateur Hunter S. Thompson, dont le héros est un avatar, cet ouvrage explore avec un violent cynisme les rouages d’un univers futuriste qui est le sien, et par là le nôtre.
Le consumérisme, la religion, l’hégémonie culturelle, la politique, l’idéalisme vérolé et ses militants ambitieux et arrivistes, sont autant à subir les foudres railleuses de notre héros Spider Jerusalem : des nouvelles techniques publicitaires ultra-invasives à la prolifération galeuse de nouvelles religions recyclant les charlatans ; de la guerre du verbe qui a vu disparaître le français qui a eu l’outrecuidance d’exister face à la suprématie anglo-saxonne ; de ces nouveaux hippies qui prônent un mode de vie différent et sont dirigés par rien de moins qu’un arriviste ambitieux et mégalomane aux allures de gourou, jusqu’à un système totalitaire qui n’hésite pas à employer la manipulation et la force uniquement pour assurer son emprise psychologique. Autant de sujets qui ploient sous les coups caustiques de spider...
Loin de présenter son héros comme un "serviteur du bien", le récit met en scène un être obsédé par la vérité, quel qu’en soit le prix. Le personnage de Spider se retrouve ainsi bien souvent à devoir assumer les conséquences de son cynisme débridé.
L’album est servi par un dessin précis et toujours juste, avec des couleurs pops et vives qui rendent compte du flot d’informations transmises par des affichages publicitaires qui parasitent autant la cité que l’esprit de notre héros. L’acidité des situations mises en scène confère une ambiance cyberpunk déjantée particulière à La ville, tout en rendant parfaitement compte des différents états d’esprits des protagonistes. C’est simple, c’est efficace et surtout beau.
Intéressant dans la réflexion sur la société qu’il propose, porté par le caractère de son héros, Transmetropolitan est finalement à l’image de ce dernier : parfois brillant, déjanté, intrigant, dynamique et surtout un personnage avec lequel on ne s’ennuie pas.
(par Vladislav JEDRECY)
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