3797 : l’Humanité se meurt, victime d’un virus dont rien ne peut endiguer la propagation.
Seul espoir, une plante, aux vertus méconnues, le trillium. Ce végétal, perdu sur une planète au bout de la galaxie, appartient à un peuple extraterrestre, les Athabitiennes, avec lequel la botaniste Nika Temsmith tente d’entrer en contact. Mais le temps presse et les militaires menacent de prendre le relais de la scientifique pour récupérer le trillium.
À l’autre bout de l’espace-temps, sur Terre, en plein cœur de l’Amazonie, en 1921, William Pike explore la jungle à la recherche de temples incas censés receler d’immenses trésors. Trillium raconte les destins croisés, au sens propre comme au sens figuré, de ces deux personnages.
Les atouts de ce volume sont multiples.
Il plaira d’abord aux amateurs de SF. Moins puissant, parce que moins total dans son ambition à ce niveau, qu’un John Prophet, Trillium offre tout de même une jolie variation sur le canevas de la science-fiction et du space opera. Espèce d’Alien aux allures indigènes, brillante intelligence artificielle, vaisseaux spatiaux, paradoxes temporels et menace sidérale, tous les ingrédients sont réunis et habilement travaillés.
Le souci du détail est bien là et poussé jusqu’à la confection d’un alphabet spécifique pour les Athabitiennes. Les bonus de l’édition reviennent sur ce point - ainsi que sur d’autres - et donnent la traduction des divers échanges impliquant ce peuple extraterrestre au fil du volume.
Mais la science-fiction sert, in fine, à donner un cadre et une ampleur cosmiques à la romance, à l’histoire d’un amour impossible qui se noue par-delà le temps et la distance. L’aventure sentimentale de Nika et William se trouve alors dotée d’une portée métaphysique et élève le récit au niveau du mythe.
Par ailleurs, par son dessin ainsi que par certains thèmes et motifs, comme les séquelles psychiques laissées par l’expérience de la Première Guerre mondiale ou encore une forme de mysticisme, Trillium pourra, de manière étonnante, évoquer l’œuvre de Jacques Tardi.
Pour mettre en scène tout cela, Jeff Lemire opte pour une recherche formelle susceptible de bouleverser la narration elle-même. C’est là que Trillium se distingue réellement. Parfois à la limite du procédé, l’auteur évite d’y sombrer en justifiant pleinement, à chaque fois, par les effets produits, les choix effectués en termes de montage du récit.
Ainsi, il faut, au fil de la lecture, et selon des modalités à chaque fois renouvelées, basculer le volume de haut en bas, renverser les planches afin de suivre l’histoire. Mais il ne s’agit pas ici à proprement parler de la figure oubapienne ou verbeekienne de l’Upside Down [1] puisque les planches ne se trouvent pas transformées par le renversement. Nous avons affaire, ici à des suites de pages dans un sens puis dans l’autre, là à des planches dont les cases du haut et celles du bas apparaissent en miroir les unes des autres selon un axe horizontal.
Jeff Lemire travaille lui, ainsi, sur la collision, au niveau du récit, entre un sens de lecture et un autre, pour servir la collision qui se produit au niveau de l’histoire, entre une époque et une autre, entre un personnage et un autre.
Il ne cherche pas à cacher une image dans une autre image, mais au contraire à souligner la symétrie de deux scènes, de deux situations, qui se répondent. Cette collision, jusqu’à l’échange, le remplacement, vise donc, en fin de compte, la communion, celle des amants, que le processus narratif tente d’accomplir à partir d’une rencontre, des heurts et perturbations qu’elle provoque.
Le parcours tracé par Jeff Lemire n’est donc pas celui de la confusion des images les unes dans les autres, mais celui de la fusion des imaginaires et des êtres. La réussite de Trillium tient ainsi à la poésie que dégage cette belle aventure .
(par Aurélien Pigeat)
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Trillium. Par Jeff Lemire. Traduction Benjamin Rivière. Urban Comics, collection Vertigo. Sortie le 24 octobre 2014. 19 euros.
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[1] Palindrome graphique, l’upside down est une bande dessinée dont les planches doivent être renversées pour offrir une nouvelle lecture. Inventée par Gustave Verbeek, cette figure imposée fait partie des contraintes formelles théorisées et employées au sein de l’OuBaPo.