Avant tout, un peu de contexte. En 2002, Chirac est réélu sur fond de vote-barrage au Front National, et Noël Mamère le candidat des Verts atteint péniblement les 5% au premier tour. Au niveau politique comme culturel et social, la question écologique est au mieux insignifiante, au pire perçue comme un signal d’alarme tiré par des illuminés déconnectés de la réalité.
C’est dans ce contexte qu’en 2004, le Parti pour la décroissance amène dans nos kiosques le mensuel La Décroissance. Initiation à ce mode de pensée qui refuse de placer le productivisme au centre des préoccupations, le magazine développait chaque mois des idées prônant l’altermondialisme, l’écologie solidaire, l’objection de croissance. Il est frappant de voir d’ailleurs comment nombre d’idées qui étaient alors mises en avant sont aujourd’hui reprises : du vrac dans les magasins pour réduire les emballages aux toilettes sèches en passant par les écoquartiers ou les potagers solidaires.
Et dans ces pages, un personnage créé par Druilhe et Domi s’impose rapidement comme l’icône du magazine : Stef le décroissant.
Militant en devenir, jeune plein de bonne volonté quoiqu’un peu naïf, Stef le décroissant vit dans des aventures hilarantes un éveil qui le conduit d’errement en errement à la réalisation du fait que la société dans laquelle il vit fonce droit dans le mur. Ses aventures de quelques pages brassent les clichés auxquels sont confrontés les décroissants (du moins à l’époque), et aux difficultés de se faire entendre quand sa voix sort des conventions.
Mais dans un souci de cohérence et pour éviter de sombrer dans un fanatisme malvenu, ses auteurs moquent aussi férocement les contradictions dans lesquelles il est possible de s’enfermer quand on embrasse trop aveuglément et sans en prendre la mesure une pensée aussi radicale. Stef le décroissant offrait une porte d’entrée privilégiée sur le sujet de la décroissance avec des dessins foisonnants de détails hilarants, de jeux de caricatures et d’intrigues aussi simples qu’efficaces.
Il en résulte un cocktail qui allie politique engagée et humour ravageur, dialectique et manifeste, et qui assurément trouve un écho tout particulier aujourd’hui.
Ça tombe bien, en 2017 ; L’Échappée a réédité toutes les aventures de Stef dans une intégrale bienvenue.
Car il est bon de se rappeler que si aujourd’hui on croise l’écologie partout, et que les questions climatiques prennent une place de plus en plus importante dans le débat public, nous étions déjà mis en garde il y a vingt ans par des gens qu’il était alors facile d’ignorer.
Il faut se réjouir que l’écologie ait fait finalement son bout de chemin dans nos consciences, et qu’aux dernières élections européennes Europe Écologie les Verts soit arrivé troisième du scrutin. Il faut se réjouir qu’aujourd’hui, toutes les grandes enseignes ont un rayon bio et qu’on questionne -enfin- les conséquences de notre mode de vie sur notre planète.
Mais il faut aussi se rappeler que rien de tout cela n’est neuf, et que c’est nous qui avons transformé cette préoccupation écologique en urgence. Et alors que beaucoup voient dans la crise du Coronavirus le tournant qui pourrait nous mener vers une nouvelle société moins égoïste, Stef peut opérer son retour, avec encore de beaux jours devant lui, on l’espère en tout cas...
(par Jaime Bonkowski de Passos)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
"Vive les décroissants" - Par Pierre Druilhe et Domi - L’Échappée - 13/10/2017 - 240 pages - 24€.
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