Ichi Isahaya est une jeune journaliste brillante mais victime du regard immonde que portent les hommes sur sa condition de femme. De sa lutte pour être prise au sérieux jusqu’à son angoisse de croiser un stalker répugnant sur la route de son footing, la vie lui offre peu de répit...
Pour ne rien arranger, Makuhito Masaki, un ancien camarde de classe qu’elle a depuis longtemps oublié, se présente un jour à son bureau en clamant être "l’homme de sa vie". S’agit-il d’un énième creep qui vient lui pourrir l’existence, ou son irruption dans son quotidien cache-t-elle autre chose ?
Des souffrances prises à bras le corps
Dès les premiers instants de lecture, Gene Bride nous prend aux tripes et nous montre une réalité insoutenable sur les rapports sexistes entre hommes et femmes. Au travers du regard d’Ichi, qui alterne résilience et colère sourde face au regard des hommes, l’histoire nous met dans la peau d’une jeune femme victime du machisme et de la misogynie de notre société.
Le lecteur.ice est mis face à une série de situations du quotidien en apparence banales, qui s’avèrent être de véritables épreuves pour Ichi et pour les femmes en générale. Aller seule à une rencontre avec un scénariste pervers, être victime d’insinuations et remarques déplacées en réunions professionnelles, prévoir sa garde robe en fonction du regard des hommes, craindre la présence de micros ou caméras dans les toilettes publiques...
Tous ces incidents constituent une part essentielle du récit et jouent un rôle important dans l’évolution d’Ichi et de sa relation avec Masaki.
Cette partie de l’histoire a largement de quoi raviver des traumatismes chez les lecteur.ice.s, car l’autrice se montre particulièrement crue et directe dans sa représentation des violences sexistes. Elle procède ainsi pour expliciter sans aucune nuance ou doute possible la souffrance que ressent son personnage face à des moments de vie révoltants.
La dénonciation des violences sexistes (qu’elles soient verbales, comportementales ou physiques), devient une toile de fond pour situer l’histoire. En parallèle on voit évoluer la relation entre les deux protagonistes : la rencontre entre Ichi et Masaki entraîne une série d’événements qui entremêleront leurs vies, et qui mettront en lumière un mystère surgi du passé.
L’ensemble adopte un ton mélancolique assez pesant. Le rythme est lent avec beaucoup de passages introspectifs qui mettent en pause l’intrigue. Ce premier tome est très introductif et est là pour poser le cadre et les personnages, jusqu’à la toute dernière page qui fait prendre au récit un virage radical et inattendu. On comprend alors que la "vraie" histoire ne commencera qu’au prochain tome, avec sans doute une narration au rythme un peu plus soutenu.
Côté dessins le style est très léger et épuré, en contraste saisissant avec la lourdeur des thèmes évoqués et l’ambiance du récit. L’ensemble est très beau et élégant, et on ressent la tendresse sincère qu’éprouve l’autrice pour ses personnages.
Pour la délicatesse de son trait, le style d’Hitomi Takano rappelle agréablement celui d’Ai Yazawa. Des personnages effilés aux longs doigts fins, un goût pour la mode (qui se traduit notamment par un soin accordé aux bijoux, détail partagé par beaucoup de personnages de Yazawa et de Takano), une "froideur" générale qui se dégage des visages, ainsi qu’une grande fluidité dans les gestes et mouvements, marquent la filiation entre les deux autrices.
Takano s’autorise également des fulgurances d’humour pour dérider le récit, en jouant sur l’excentricité de Masaki et le contraste entre son caractère franc et extraverti et la réserve naturelle d’Ichi. Le ton reste globalement assez lourd : Gene Bride est une lecture qui peut être assez éprouvante selon la sensibilité du lecteur.ice.
Glénat poursuit sans répit sa réhabilitation du Shojo auprès d’un lectorat français qui boude injustement le genre depuis trop longtemps. En proposant des titres aux thèmes et ambiances variés, Glénat met en avant la diversité du Shojo et s’assure que tout le monde trouve chaussure à son pied dans la collection au bandeau violet.
Parmi tous les titres de cette collection, Gene Bride n’est pour le moment pas le plus marquant mais reste dans le très haut du panier. En plus de ses dessins sublimes la série a le mérite d’aborder frontalement des thématiques rares dans le manga mainstream, qui valent toujours la peine d’être réexplorées.
Le virage à 180° de la dernière page laisse entendre que la suite nous réserve bien des surprises, on est donc sans aucun doute face à un titre qui se bonifiera avec le temps. Et on à très hâte de découvrir ça...
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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"Gene Bride" - Par Hitomi Takano - Éd. Glénat - 18/10/2023 - 160 pages - 7€50.
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