Adulte

Angoulême 2024 : Katia Even & Thierry Plée : « Notre revue de bande dessinée érotique "Blandice" prend un nouveau départ. »

Par Charles-Louis Detournay le 21 janvier 2024                      Lien  
Dame Anastasie, la censure aux grands ciseaux, aurait-elle remporté un nouveau round ? Dans ces temps chahutés pour les publications érotiques, la revue "Blandice" qui fête ses 7 ans, ne bénéficie désormais plus du support public. Une décision délibérée de la part de son éditeur Thierry Plée et sa rédactrice Katia Even... qui ont tout de même été acculés sous les coups de boutoir répétés depuis des années ! Une liberté accrue qui permet un contenu plus adulte, mais qui s'accompagne également d'une série de contraintes.

Quel a été le point de départ de Blandice ?

Katia Even : À l’époque, Thierry m’a contacté car il voulait lancer un nouveau magazine, ce qui tombait parfaitement bien car cela rencontrait une de mes aspirations. Je l’avais d’ailleurs déjà proposé à mon précédent éditeur, Sandawe.

Thierry Plée : Ma première stimulation venait du fait qu’il n’y avait plus de magazine de bande dessinée érotique à l’époque, à savoir en 2016. Je parle bien d’érotisme et pas de pornographie car le traitement est totalement différent…

Une différence qui modifie également le seuil de rentabilité ?

TP : En effet, une revue pornographique ne bénéficie pas d’un traitement favorable au niveau de la TVA. Nous faisions donc attention depuis le lancement de la revue en janvier 2017, à ce que le contenu de Blandice ne soit pas extrême. Nous veillons également à une représentation positive de la sexualité, et même de ce qu’on pourrait cataloguer dans les dérives sexuelles. Cela signifie aucune victimisation, et uniquement des situations mettant en scène des partenaires volontaires et consentants jouant avec leur plaisir.

Angoulême 2024 : Katia Even & Thierry Plée : « Notre revue de bande dessinée érotique "Blandice" prend un nouveau départ. »
Cent pages de BD sensuelles
Le premier numéro de Blandice paru en janvier 2017

Cette position est-elle éditoriale ou s’agit-il de respecter la norme pour maintenir un prix abordable pour le magazine ?

TP : C’est avant tout une ligne éditoriale auprès de la maison d’édition Tabou : miser sur le qualitatif pour éviter les histoires mièvres, les personnes creux, les dessins bâclés, etc.

KE : Nous souhaitons également mettre en avant les sexualités alternatives, tant qu’elles restent dans le cadre de la loi.

Au-delà de l’éloignement du X, Blandice affiche également une forme d’érotisme chic. Est-ce lié au type d’histoires mises en scène ?

TP : La difficulté avec la pornographie est qu’elle est extrêmement relative. On y associe généralement les films hard, des situations où le scénario se limite à une succession de coïts, lorsque la sexualité est réduite à sa simple expression. Dès qu’on place un contexte, la connotation dérivera alors vers l’érotisme, et chacun mettra son curseur en fonction de son ressenti. Pour une personne lambda, l’apparition d’une paire de testicules déplacera par exemple directement le curseur de l’érotisme vers le pornographique.

Le deuxième numéro consacré au romantisme

Vous avez tout de même connu un sévère retour de flamme lorsque la Commission Paritaire des Publications et des Agences de Presse (CPPAP) a voulu vous classer comme magazine pornographique en 2018 ?

KE : En effet, en 2018, nous avons dû beaucoup parlementer pour maintenir Blandice car le passage en tant que magazine X aurait scellé l’avenir de la revue à ce moment-là. Heureusement que nous avons pu compter sur une campagne initiée par les lecteurs, afin de finalement publier notre numéro 8 au mois de décembre au lieu d’octobre. Mais cette défense auprès de la CPPAP n’est pas arrivée qu’en 2018, chaque année nous devions argumenter le caractère érotique et non pornographique de la revue.

TP : En effet, la commission revoit annuellement sa décision en ce qui nous concerne, en demandant à recevoir le dernier numéro en date, ainsi que les quatre précédents. Mais comme nous sommes une revue trimestrielle, cela équivaut à plus d’une année. Bref, nous savons que la totalité de nos numéros sera inspectée à la loupe. Toute la difficulté de l’exercice tenait dans la justification de l’aspect culturel de Blandice.

KE : La CPPAP s’intéressait effectivement plus aux images de la revue qu’au contenu rédactionnel. Alors que nos articles de fond pouvaient s’avérer plus hot que les planches de bande dessinée.

Blandice #20 : la rédaction fleurte avec les limites

Évoquons justement ces articles, car chaque numéro dispose de plusieurs éditoriaux et dossiers de fond. Pourquoi donner une thématique par magazine alors qu’on retrouve également des séries à suivre ? C’est pour appâter le chaland en kiosque ?

KE : J’ai étudié l’histoire de l’art, et on sent que derrière chaque grand artiste se trouve une forme d’inspiration sensuelle, voire érotique. Ce qui se ressent également en bande dessinée ! Nos premiers numéros abordaient par exemple le romantisme, comment les peintres, puis les auteurs de bande dessinée s’en étaient emparés. Maintenant, des thèmes comme les pin-ups ou les badass ne sont pas encore reconnus par l’histoire de l’art, mais ils en font partie selon moi.

TP : Puis nous nous autorisons quelques sorties de cette ligne directrice, comme des thématiques liées au carnaval pour le printemps ou au fantastique en période d’halloween.

Le dernier numéro de 2022 est consacré aux filles badass !

De plus, les rédactionnels ne se cantonnent pas qu’à la bande dessinée érotique. Votre numéro consacrée aux filles badass traitent par exemple des Totally Spies et de Fifi brindacier ! Ce qui vous permet donc de fidéliser votre lectorat. Disposez-vous d’une formule d’abonnement ?

TP : Nous disposons d’un groupe d’abonnés très fidèles, qui sont arrivés dès le premier numéro. Même si la majorité de nos ventes se déroulent tout de même en kiosque.

Qu’est-ce qui démarque Blandice ce qui a déjà été fait ? Pour ma part, je trouve que le ton est plus large, incluant les femmes qui n’étaient d’ailleurs pas souvent visées par les précédentes publications du genre ? Est-ce lié à votre plume, Katia ?

KE : Ce n’est pas parce qu’une femme écrit les articles qu’il faut directement invoquer le féminisme. Je me rappelle par exemple d’un article dithyrambique sur la beauté des nichons, et je ne pense pas qu’il était adressé uniquement aux femmes (rires).

Loin de moi l’idée d’un tel raccourci ! Je voulais surtout dire que Blandice est une belle porte d’entrée à l’érotisme pour les femmes !?

KE : Pas uniquement les femmes, on amène aussi les jeunes à apprécier l’érotisme. Normalement, le public lecteur de bande dessinée érotique a souvent cinquante ans de moyenne d’âge, et est essentiellement masculin. Par contre, avec Blandice, on se rend compte que des femmes sont également lectrices, ainsi que des jeunes qui vont lire alors les bandes dessinées érotiques en couple. On développe donc plus un nouveau lectorat qui cherche un contenu pas trop cru, ce qui me fait penser que le genre des lecteurs (homme ou femme) n’est pas directement visé. C’est plus une question de génération et d’orientation.

TP : Pour ma part, j’ai immanquablement une vision masculine de l’érotisme. Même si je désire être le plus global possible pour englober toutes les sensibilités, je ne peux pas faire abstraction de ma nature, ni de ma propre expérience. Katia apporte ainsi un parfait complément : non seulement parce qu’elle est une femme, mais aussi car elle est issue d’une autre génération. Cette confrontation des avis m’intéresse, car la grosse difficulté d’un éditeur est de justement réaliser ses choix par rapport à son goût. Je souhaite donc m’entourer de personnes qui ont d’autres envies et dont j’apprécie la compétence.

KE : Thierry et moi avons également des cultures de bande dessinée très différentes, ce qui rajoute en complémentarité. Il lit beaucoup de comics alors que je n’en lis jamais. Au contraire, je suis plongé dans la culture manga par le biais de mes enfants. On apporte donc toujours des propositions d’extraits d’albums qui reflètent cette pluralité. Cela varie aussi d’un numéro de magazine à un autre, en fonction de la thématique centrale.

Thierry Plée et Katia Even
Photo : Charles-Louis Detournay.

Concernant les bandes dessinée que l’on peut retrouver dans Blandice, initialement il s’agissait beaucoup d’extraits d’albums issus de Tabou, assez logiquement. Mais rapidement, vous avez commencé à ajouter des planches d’autres horizons !

TP : Oui, nous ne voulons pas rester autocentrés. Nous allons puiser chez nos confrères, afin que nos lecteurs puissent disposer d’un véritable éventail de la bande dessinée érotique au sein de Blandice. Qu’il s’agisse de La Musardine, de Kennes avec Jean-François Charles par exemple…

KE : Ou de Dargaud, de Casterman, etc. On ne traite pas que d’albums érotiques. Pour un article sur le romantisme, nous avions ainsi demandé une case tirée d’un album concernant Monet, simplement parce que nous avions été frappé par la sensualité qui s’en dégageait.

Blandice chronique également les bandes dessinées érotiques qui viennent de paraître ou à venir.

Vous rendez-vous compte que Blandice est le dernier représentant de la bande dessinée érotique en kiosque ? Que vous êtes donc les ambassadeurs du genre qui mettez en avant le fleuron de ce qui le milieu produit ?

TP : Ah… Pour ma part, je n’y avais jamais pensé… On est flattés de savoir que notre travail est utile.

On retrouve aussi des portraites d’autrices et d’auteurs qu’on n’aurait pas forcément pensé trouver dans le magazine, comme Catel par exemple ?!

KE : Nous continuons à viser la diversité et la pluralité. Catel s’intéresse aux femmes dans l’histoire, ce qui devait obligatoirement nous parler. Nous avons aussi interviewé Cy. En réalité, nous n’avons jamais essuyé aucun refus pour être présent dans Blandice parce qu’il s’agit d’un magazine érotique.

Ce qui n’empêche Blandice de faire peau neuve en ce début 2024. Pourquoi avoir changer votre fusil d’épaule concernant vos discussions avec la CPPAP ?

KE : Comme je l’expliquais, la commission s’intéressait à nos pages de de BD et il nous laissait assez tranquille sur les articles. Ils voulaient surtout qu’on épure nos planches de bande dessinée, en recadrant des cases ou en déplaçant une bulle pour masquer certaines parties anatomiques. Un processus par toujours facile si on voulait maintenir le cœur du sujet.

À côté de cela, nous rédigeons des articles qui traitaient d’histoire de l’art, mais il y avait également des articles qui pouvaient être encore plus tendancieux que certaines pages, mais ils ne s’y attachaient pas trop. Et récemment, ils ont commencé à s’intéresser à nos articles en argumentant que ce n’était pas des sujets d’actualité. Ce que nous contestons car nous évoquons les nouveautés en bande dessinée, ce qui reste tout de même assez actuel. De plus, nous traitons des expositions en cours ou à venir. Certes, lorsqu’on parle d’histoire de l’art comme le mouvement du romantisme, c’est pas forcément d’actualité… Mais j’imagine qu’on ne reproche pas à Beaux-Arts Magazines de ne pas traiter de sujets d’actualité.

Bref, on a vraiment eu le sentiment qu’ils cherchaient des prétextes pour nous mettre des bâtons dans les roues. Comme à chaque fois qu’on passe à la Commission, il faut monter un dossier et que ça prend beaucoup de temps, on s’est dit cette fois qu’on allait mettre le holà et arrêter de leur demander l’agrément.

Le dossier écrit par Bernard Joubert
Blandice #27

C’était une décision mûrement réfléchie de pouvoir reprendre cette liberté ? Ne pas devoir s’épuiser dans le dossier de défense et d’hausser la part érotique de chaque numéro ?

KE : Ça faisait déjà quand même pas mal de temps qu’on y pensait, mais la critique envers nos articles a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il y a deux-trois ans, nous avions réalisé un sondage auprès de nos lecteurs pour savoir s’ils préféraient du contenu non censuré, et donc forcément un petit peu plus cher, ou si on devait maintenir le contenu de l’époque au même prix : un gros contingent de lecteurs préférait payer 1€ de plus et disposer d’un contenu qu’on n’était pas obligé de lisser.

Au final, nous les avons donc écoutés, et leurs premiers retours nous démontrent qu’on ne s’est pas trompés sur ce point. Certains nous écrivent : « Ça y est ! Moi qui adore acheter de la bande dessinée érotique, je peux enfin voir ce qui paraît et pas que des trucs édulcorés qui ne m’intéressent pas. » C’est déjà ça de gagné !

Une interview de Jim, dont le dernier album avait été refusé par tous les éditeurs mainstream
Blandice #27

Parce qu’il ne faut pas omettre les désavantages qu’impliquent votre décision !

KE : Le souci de notre côté est purement financier. Premièrement, nous n’avons plus droit à la TVA réservé à la presse (2,1 %) : on est obligé de payer plein pot les 20%. Ensuite, nous ne pouvons non plus prétendre au tarif postal préférentiel pour les envois des abonnements. Enfin, chaque magazine doit maintenant être sous film plastique, afin qu’on ne puisse plus les feuilleter dans les bureaux de tabac. Or, c’est un coût supplémentaire de devoir empaqueter chaque magazine.

Alors que nous n’avions presque jamais augmenté le prix du magazine depuis son lancement il y a sept ans et malgré la hausse du coût de la vie, nous avons dû maintenant nous résoudre à passer de 6,90 € à 8,30 €. Cela ne compense pas toutes les impacts financiers que j’ai évoqués, mais nous faisons un pari. Il est trop tôt financièrement pour imaginer ce que sera le futur, cela dépendra du suivi des lecteurs.

La publication des histoires de Giovanna Casotto ne cache désormais plus rien aux yeux des lecteurs
© Giovanna Casotto

Mais donc ça veut dire que pratiquement, les lecteurs vont devoir chercher l’endroit où les buralistes placent maintenant la revue ?

KE : Je pense qu’elle sera au même endroit qu’auparavant, parce que déjà elle était bien en hauteur. Elle sera donc sous film transparent. On verra toujours bien la couverture, on ne pourra juste plus la feuilleter.

À propos de la couverture, devez-vous respecter certaines normes ?

KE : Non, nous sommes libres, mais nous sommes aussi des gens réfléchis. On va pas montrer des éléments trop dérangeants. Dans le cas de la couverture du numéro qui vient de paraître, j’ai dessiné une héroïne en version réaliste et torse nu, sans chercher à masquer sa poitrine ou quoi que ce soit. Alors que la plupart du temps, on essayait quand même de faire des choses un petit peu plus soft par le passé. Là, on est allé franchement.

Quant au contenu, avez-vous sélectionné des bandes dessinées que vous vous étiez refusés à intégrer auparavant ?

KE : Ah oui, nous n’avions pas le droit de montrer le moindre organe génital, c’était donc assez restrictif. Ce que la commission paritaire appelait « les copulations à plusieurs » étaient aussi interdites. Tandis que dans ce dernier numéro, on a publié Connie la Barbare, on a mis pas mal de de BD qu’on ne pouvait jamais mettre auparavant. On publie également un extrait complet de Giovanna Casotto, pas seulement quelques illustrations. On trouve un extrait d’Inguinis, du Trif, etc. On se lâche !

Extrait de Kiff (par Max Sulfur) publié dans la nouvelle mouture de Blandice.

Concernant les articles en eux-mêmes, avez-vous adapté votre style ?

KE : Il faut garder en tête que j’ai juste repris la direction de Blandice pour les deux numéros qui viennent. Pendant 2 ans, je n’étais plus présente et le ton donné aux articles dépendait des différents rédacteurs. Je suis revenue parce que ça me manquait un petit peu. Et puis Thierry voulait que je revienne aussi. Généralement, on est assez raccord sur ce qu’on veut, comme pour la création du magazine : j’en avais envie, il y pensait, on en a parlé pile au bon moment. Là, c’était plus ou moins la même chose. Blandice est un petit peu mon bébé, donc c’est vrai que j’ai tout le temps tendance à tourner autour. Mais j’ai plus le même rôle qu’avant.

Pour ce numéro qui vient de paraître, j’ai aussi fait appel à Bernard Joubert en tant que spécialiste de la censure en bande dessinée, qui est venu compléter notre dossier central. Dans celui-ci, j’ai vraiment essayé d’expliquer au lecteur ce qui se passait dans le monde de la presse, ce qu’on n’imagine pas forcément. Par exemple, la plupart des gens ne savent pas ce qu’est la Commission Paritaire des Publications et des Agences de Presse. Puis j’ai écrit un édito que Thierry a peaufiné : nous n’avons pas fait preuve de langue de bois, on a juste fait très attention à ne pas critiquer la commission, car elle est nécessaire. On a juste dit qu’on n’est pas compatibles avec elle. On remet pas en question son existence. On a juste remis en question notre collaboration.

La première page de l’édito du nouveau Blandice (#27)

Le nouveau numéro de Blandice, sous sa nouvelle mouture, est actuellement en kiosque. Et Katia, vous allez également réaliser le prochain numéro du printemps 2024 ?

KE : Oui, il sera consacré aux femmes et à la bande dessinée, autant les femmes héroïnes que les autrices. Bref, la vision de la femme en général. Pour ma part, je ne suis pas sûr encore certaine de rester pour les numéros suivants. Dans Blandice, je suis un électron libre. Profitons déjà de que ce nous avons pour l’instant.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Magazine de bande dessinée réservée à un public adulte et averti.
Blandice #27 : Numéro spécial Censure & Liberté - 1er trim 2024

Découvrez Blandice et son staff au FIBD 2024, hébergés par Tabou-BD, N52, Bulle Nouveau Monde.

Photo en médaillon : Charles-Louis Detournay.

Tabou ✏️ Katia Even adulte Angoulême 2024
 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Charles-Louis Detournay  
A LIRE AUSSI  
Adulte  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD