« Des applaudissements pour les femmes en blanc », c’est le titre figurant en manchette du 4283e numéro du Journal de Spirou. Un titre à double sens : on y lit bien évidemment un hommage aux personnels soignants qui luttent contre le coronavirus, mais aussi une révérence à la série qui se conclura en juillet prochain avec son 42e et dernier album La Radio de la méduse.
Les Femmes en blanc, l’un des best-sellers historiques de l’éditeur Dupuis, s’est avéré particulièrement d’actualité ces derniers mois puisque la série humoristique met en scène le personnel hospitalier dans un quotidien truffé d’humour, non sans respect pour la profession et empathie pour les malades. Logique donc de voir la couverture du prochain numéro de Spirou confiée à Philippe Bercovici, son dessinateur.
On y voit une infirmière des plus convaincantes dans la pose iconique de "Rosie la riveteuse" avec charlotte à pois et biceps apparent pour illustrer la détermination sans faille dont font preuve les personnels soignants depuis le début de l’épidémie. Alors que le déconfinement se profile en France pour la semaine prochaine, et à déjà démarré en Belgique, il ne fait aucun doute que les femmes en blanc et leurs collègues auront encore du boulot...
Nous avons pu nous entretenir avec Bercovici et discuter avec lui de l’actualité, de la vocation de la série, et des mérites de la profession.
Est-ce que vous avez des retours du personnel hospitalier sur la série ?
Bercovici : Au fil du temps, j’en ai eu beaucoup, bien sûr. J’ai rencontré énormément de monde dans ce milieu. J’étais très heureux que la série soit prise en compte par les infirmières et les médecins. Au début, c’était plutôt une surprise, on s’adressait aux lecteurs de Spirou avant tout. Il faut dire que l’on a été les premiers, je pense, à faire une série de ce style en prise directe avec la vie quotidienne.
Raoul Cauvin a eu cette intuition, (je parle de la fin des années 1970) qu’il fallait un peu de concret dans la BD. Bien plus tard, il est arrivé que l’on me dise en séance de dédicace que la série a eu un rôle dans le choix d’une carrière d’infirmière par exemple.
Pendant cette crise, un certain nombre de dysfonctionnements du système médical ont été exposés au grand jour. Est-ce qu’à votre échelle, c’est un problème sur lequel vous essayez d’intervenir ?
B : Bien sûr, on a évoqué pas mal de carences et problèmes divers dans nos albums. C’était une énorme part de nos histoires ! Il y a même eu une manifestation en couverture de l’un d’eux... Le manque de moyens, de motivation ou d’organisation ne datent pas d’hier, et aujourd’hui on s’en rend compte plus que jamais. La série a été un moyen de parler de problèmes liés à la maladie, aux relations entre les gens, et aussi aux problèmes de pénuries de moyens ou de matériel. Sans parler des salaires dérisoires.
C’est bien la peine de se gausser des systèmes de santé des autres pays, n’est-ce pas ? Répéter matin, midi et soir que l’on a le meilleur système de santé au monde, et voir à quel point ce système fuit de partout. C’est un lieu commun que de dire que l’humour a pour base les peurs ; l’hôpital, on en a tous peur n’est-ce pas ? D’autant plus que l’on sait qu’ils sont faillibles. Même s’ils font aujourd’hui des efforts pour que ça ressemble à des halls d’aéroport .
Avec des séries comme Les Femmes en blanc ou Boule à zéro, on voit que le 9e art se tourne vers le milieu hospitalier. C’est important pour vous de remettre à leur place ces héros masqués bien réels ?
B : Oui, pour moi l’originalité de notre série repose sur la mise en avant de ces professions, de leur mission, de leur variété… À tel point que ces derniers ont pris beaucoup d’importance, effaçant même un peu la notion de « personnage de BD », ce qui d’un point de vue commercial n’est pas le meilleur plan, entre parenthèses. Les femmes en blanc ont été, je pense, une série très féminine, et au delà de quelques clichés, j’ai cherché à dessiner des personnages tels qu’on pourrait les rencontrer. Avec bien sûr un mix avec mon style de l’époque, mes défauts et maladresses. Les premières planches ont été dessinées alors que j’étais au lycée, il y a exactement 40 ans. J’ai fait mes armes dessus…
Quel message aimeriez-vous faire passer à nos lecteurs en cette période confinée ? Et quel message pour les soignants ?
B : Je n’ai pas vu des infirmières ou des médecins uniquement en tant que dessinateur, mais aussi comme tout le monde en tant que patient ou accompagnant des malades, je sais bien tout ce qu’on leur doit… J’espère aussi que nos albums sont considérés comme l’équivalent des applaudissements de 20 heures, un hommage que l’on rend à notre façon. Pour ce qui est de la sortie du confinement, les auteurs vont un peu récupérer l’exclusivité de leur mode de vie, avec les gamers et les moines bénédictins… Reste à souhaiter que le rebond des statistiques de la pandémie n’aura pas lieu et qu’on pourra reprendre le cours de nos maladies habituelles...
C’est donc une numéro doublement d’actualité qui nous attend le 13 mai 2020. Au sommaire : les séries classique du magazine, de Supergroom à Créatures en passant par Katz ou Dad, avec un focus spécial sur les héros en blouse blanches. Interview du scénariste Raoul Cauvin, l’autre "papa" des Femmes en blanc, comme nous l’avions fait il y a quelques jours plusieurs gags de la série issus du 41e album, et une double page de jeux Panique aux urgences en immersion dans un hôpital bien surchargé qui nous rappelle tristement les nôtres...
Philippe Bercovici publie par ailleurs, en juin prochain, en compagnie de l’historien Jean-Noël Fabiani, une nouvelle édition augmentée de sa très savante Incroyable Histoire de la médecine (Ed. Les Arènes BD), un best-seller (60 000 exemplaires vendus) truffés d’informations sur l’histoire de l’art médical augmentée de 32 pages et huit chapitres supplémentaires qui abordent des sujets nouveaux : les sages-femmes et l’obstétrique ; l’Église et la médecine au Moyen-Age ; l’influence du climat et de l’environnement ; l’histoire des hôpitaux ; l’histoire de la réanimation ; les femmes en médecine ; l’histoire des régimes alimentaires ; l’histoire des infirmières. Et un chapitre consacré aux grands fléaux modernes actualisé avec... le Covid-19. Bercovici, un dessinateur dans l’actu !
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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“Le Journal de Spirou n°4283 - Des applaudissements pour les femmes en blanc" - 2,70€ - En kiosque dès le 13/05/2020 ou à défaut sur DIRECT-EDITEURS.FR
"L’Incroyable Histoire de la médecine" de Jean-Noël Fabiani et Philippe Bercovici (Ed. Les Arènes BD) - 288 pages, 23,90€. Parution le 24 juin 2020.
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