Jack Kirby reste fascinant parce qu’au-delà de sa production titanesque, au delà d’un génie graphique qui a donné une consistance à la mythologie du comic book et dont l’influence perdure jusqu’à aujourd’hui, il incarne à lui seul tout ce qui fait de ce genre particulier un moment esthétique, et même spirituel, de première importance dans l’histoire de la culture américaine du XXe siècle.
Les éditions Urban viennent de publier la biographie que lui a consacrée Mark Evanier qui fut son assistant et qui devint son biographe attitré. D’un abord simple, le livre d’Evanier égrène les anecdotes, amusantes autant qu’ éclairantes, où l’on voit défiler les grands noms de cette incroyable aventure artistique fondatrice du comic book : "un vétéran de la magouille financière" comme Victor Fox chez qui il fit ses débuts en compagnie de Bill Everett, puis la rencontre avec Will Eisner, son "ami, professeur et patron... mais pas dans cet ordre..." et l’atelier Eisner-Iger où il côtoie Bob Kane, le créateur de Batman, ses compagnons d’atelier et de création Joe Simon, Wallace Wood, John Severin, Stan Lee, Steve Ditko...
À chaque fois, ces évocations sont accompagnées de dessins où l’on voit Kirby façonner les plus grands mythes du comic book de son temps, des mythes dont Hollywood fait encore aujourd’hui son miel : Captain America, les Fantastic Four, les X-Men, Thor, Hulk, Spider-Man, Silver Surfer, New Gods,... Cette hymne à la superpuissance, que l’on a souvent confondu avec la superpuissance américaine, mais qui n’était rien d’autre qu’une attitude bravache destinée à donner de la contenance dans un environnement hyper-violent que Kirby synthétise si bien dans son récit "Le Code de la rue", c’était autre chose que la vraie guerre.
Cette vraie guerre-là, il l’a faite pendant deux ans, contribuant à libérer la France et la Belgique : Kirby a fait partie des troupes du Général Patton qui débarquèrent à Omaha Beach, se battirent en Normandie et lors de la bataille de Bastogne. Ce combat-là, comme ceux du "code de la rue" de son enfance, n’avait rien à voir avec ce "quelque chose que seuls Dieu et ses parents connaissaient."
De quoi parlait-il ? De la foi, celle dont tous ses héros sont pourvus, se battant en permanence à la limite de leurs forces avec un sens du dépassement que son dessin rendait à merveille ? Ou de cet ordre imperceptible, qui m’a fait écrire de son dessin qu’il était "séfirotique", c’est à dire en quelque sorte habité par le souffle divin ? [1] Les deux sans doute.
C’est pourquoi il faut profiter des rééditions que fait Urban de son travail, des productions qui, nous l’avons écrit, lui rendent justice et qui reprennent les œuvres qu’il a réalisées pour DC Comics : Kamandi, le dernier garçon de la terre T1 et T2, O.M.A.C. le super-soldat, Le Quatrième Monde, une sorte de Genèse superhéroïque, ou cette Anthologie qui ouvre et qui referme en même temps la parenthèse DC Comics qui sert d’écrin à une œuvre non moins fondamentale : celle que le titan du comics bâtit pour Marvel.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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