Comme pour mieux écarter les doutes sur une hypothétique participation d’Arthur Rimbaud, poète révolutionnaire, au soulèvement de la Commune de Paris, voici qu’en juillet 1886, Jean-Roch Folelli, un Corse ex-communard justement, débarque dans la Corne de l’Afrique, à Tadjoura. À partir de ce port du Territoire d’Obock et d’une future colonie française centrée sur Djibouti, celui-ci, évadé du bagne de Calédonie qui a le don pour que le flic lui colle aux basques, va finalement se joindre à une caravane du sieur Rimbaud.
Du lyrisme transcendant au matérialisme désillusionné
Ce dernier, après des pérégrinations diverses, a échoué dans le coin et escompte vendre près de 2 000 fusils à Menelik, monarque du Choa, l’un des royaumes d’un empire d’Abyssinie (aujourd’hui Éthiopie) dont il voudrait prendre la tête. Le trafiquant français n’est cependant plus cet adolescent qui brûlait le dur, selon l’expression d’Étiemble. Sa période précoce de voyant et magicien des mots révolue, il rêve désormais de devenir ingénieur. Comme le montrent les quelques livres consacrés à des apprentissages techniques qu’il fait alors venir de France ou les liens qu’il tisse avec l’un d’entre eux, le Suisse polyglotte Alfred Ilg, précisément conseiller de ce futur empereur d’Abyssinie Menelik II. Par contre, dans ses rapports avec le descendant de la reine de Saba et du roi Salomon, lui plus retors qu’équitable, l’ancien artiste total, qui projette maintenant plus platement d’améliorer sa situation matérielle, connaîtra bien des déboires…
Réalité extrapolée…
Les auteurs avaient déjà fait paraître chez Akileos Jour après jour - « Vaille que vaille » (2006). Leur nouvelle bande dessinée confirme l’intérêt à leur porter. D’après le dossier illustré l’accompagnant, une photo inédite d’Arthur Rimbaud adulte, rareté découverte au moment de son bouclage, n’a pas entamé l’envie de Christian Straboni de procurer, avant tout, « un reflet » du météore de Charleville. En définitive, qu’importe si son nez est représenté plus grand qu’en réalité ! La longueur de celui de Cléopâtre aurait changé le cours de la grande Histoire, paraît-il. La qualité de la petite histoire proposée ici n’en est, elle, fort heureusement, pas bouleversée. En revanche, le dessin en noir et blanc de caractère de Christian Straboni, qui porte la marque de sa « patte » personnelle, même s’il a pu être forgé à la croisée de diverses influences, contribue grandement à son indéniable charme. Il résulte également de la qualité littéraire des textes, peaufinés avec Laurence Maurel et inspirés par les vers d’Arthur Rimbaud.
… Et onirisme prenant
Les événements reconstitués dans ce récit hautement graphique auraient ravi Hugo Pratt, friand de poésie et de sujets touchant à l’Abyssinie de sa chère adolescence. Il y fait même l’objet d’un clin d’œil à remarquer. Mais Le Chapeau de Rimbaud est en outre empreint d’un onirisme appuyé, qui va jusqu’à évoquer le Robur de Jules Verne et sa machine volante ou le Don Quichotte de Cervantès ! Sans que, jamais, nous, lecteurs, ne fassions triste figure. Bien au contraire ! Quant à déterminer ce que vient faire là le galurin du titre, il ne vous reste plus qu’à ouvrir les pages de l’album. En attendant, chapeau bas à ses créateurs !
(par Florian Rubis)
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En médaillon : couverture du Chapeau de Rimbaud © Laurence Maurel, Christian Straboni & Akileos, 2010.
Le chapeau de Rimbaud - Par Laurence Maurel & Christian Straboni - Akileos – 80 pages, 14 euros