« En lisant cette BD, qui mêle étroitement l’histoire de l’animation à la vie personnelle de Rintarō, de son enfance à son adolescence et à l’âge adulte, je mesure tout ce que je dois à mes aînés, les « anarchistes » de l’ère Shōwa (1926 -1989), que je remercie chaleureusement ». C’est rien moins que Katsuhiro Ōtomo qui finit ainsi sa préface de Ma vie en 24 images par seconde (p. 4).
Et il sait de quoi il parle ! Lui qui, « nouvelle étoile montante du manga » (p. 209), s’est fait mettre le pied à l’étrier dans le courant des années 1980 dans l’animation par Rintarō. On connaît la suite...
Quant à Rintarō, Shigeyuki Hayashi de son vrai nom, il s’était déjà construit sa réputation. Il la doit, entre autres choses, à la seconde vie qu’il donna aux personnages des plus grands noms du manga.
Il adapta à la télévision Osamu Tezuka, notamment Astro, sa variante Jetter Mars et Le Roi Léo. Il mit en scène Albator 78 d’après Leiji Mastumoto (Akira Mastumoto, dit...), et se frotta aux Moumines (The Moomins), les gentils trolls de Tove Jansson.
Sur grand écran, il s’attaqua également à des fresques épiques, comme Harmagedon (1983). Cette dernière est issue de la licence autour de l’univers fictionnel de Genma Taisen de Kazumasa Hirai, développée en manga avec Shōtarō Ishinomori (Shōtarō Onodera, alias...) [1].
Avec L’Épée de Kamui (Kamui no Ken, 1985), il s’inspire d’un roman de Tetsu Yano. Le film n’est donc pas tiré de Kamui-den, le manga-fleuve de Sanpei Shirato (Noboru Okamoto, alias...), traduit chez Kana (2010), une erreur courante de ceux qui n’ont pas vu le film.
Comme toujours avec Rintarō, l’histoire de son premier manga débute avec un film d’animation, pour une fois pas de fiction, mais sur sa vie. Malheureusement, le projet n’aboutit pas. Il en fait néanmoins une bande dessinée avec, notamment, le soutien de l’équipe éditoriale de Kana.
A cette fin, il avoue avoir rassemblé ses souvenirs pendant six ans. C’est autant que la période de production de l’un de ses chefs-d’œuvre, Metropolis (2001), scénarisé par Katsuhiro Ōtomo.
Nous avions mentionné dans un article précédent sur Moto Hagio que Rintarō est présent au Festival international d’Angoulême. Hormis la signature de son manga, il participera à deux master classes, dont une en compagnie de Joann Sfar, et à une projection. Ensuite, il poursuivra ce type d’interventions à Bruxelles et Paris.
Outre la préface de l’auteur d’Akira, le livre de 256 pages de Rintarō s’ouvre sur un prologue. Il est découpé en sept « séquences » et s’achève sur un épilogue.
Rintarō y retrace les moments forts de sa vie. L’histoire débute avec sa naissance en 1941, puis se poursuit avec le départ de sa famille de Tōkyō afin de fuir les bombes incendiaires, jusqu’à une période plus proche de nous. Pour raconter les événements plus personnels, l’auteur sait quel ton adopter.
L’expression des sentiments repose toujours sur une certaine retenue - Rintarō ne s’épanche pas, que ce soit dans les rapports avec son père, ceux qu’il entretient avec sa famille ou dans sa propre vie sentimentale. Adoptant une position de retrait, il revient aussi sur les relations tissées tout au long de son parcours professionnel. Et quel parcours !
Mieux que des digressions superflues, le choix des quelques pages utilisées pour illustrer cet article dénote la qualité et l’intérêt de ce livre. Son lecteur y trouvera une somme unique d’informations sur l’édification du monde de l’anime sur le grand comme le petit écran. Il n’oublie pas de saluer ceux qui l’ont aidé à progresser, dont Masao Maruyama, l’un des fondateurs de Madhouse.
Comme le résume bien Hervé de la Haye dans sa postface (p. 252) : « Rintarō fait le récit de toute une vie consacrée à l’art de l’animation, et en creux, celui de toute une part de l’histoire de l’animation japonaise, que sa carrière épouse merveilleusement. [...] Dans une forme de modestie qui lui est propre, il raconte pudiquement son propre travail en prenant soin de rendre à chacun le rôle qui fut le sien ».
Les multiples aspects du travail de Rintarō bénéficient dans leur traitement d’un graphisme qui incite à se laisser porter par le récit. Ce n’est pas si mal pour quelqu’un qui se veut plus metteur en scène que dessinateur...
Sa vocation prend racine dans sa découverte enfantine des pages d’un livre de contes illustré d’Arthur Rackham. Puis intervient sa formation dans la publicité pour un grand studio. Mais freiné par certaines exigences, il s’en sépare pour suivre un chemin tout à fait différent.
Il ne le regrettera pas : il participe aux débuts de Mushi Production, studio d’animation installé à côté de sa maison par Osamu Tezuka et financé au départ grâce à ses gages de mangaka. Cependant, l’expérimentation cède vite le pas à la nécessité de projets plus commerciaux pour tenter de maintenir l’entreprise.
Avec son implication dans le démarrage de l’animation à la télé japonaise, au moment de la production de la première série adaptée d’Astro Boy (Tetsuwan Atomu), 1963), Rintarō va enfin pouvoir devenir réalisateur. Après un tel succès, il faut bientôt accentuer la division des tâches, y compris en se répartissant la réalisation des épisodes.
Après Mushi Production, s’enchaînent pour lui les occasions de participer à des gros cartons : Albator, auquel il reviendra en 2003, et Metropolis, qui mélange animation traditionnelle et images de synthèse.
On attendait depuis longtemps un tel livre. Rapporté à son domaine, il rappelle ce que fut pour le gekiga, en dépit d’une narration différente, Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi (Cornélius, 2011).
Passionnant pour les mordus d’anime, l’ouvrage reste très abordable pour les profanes. Pourtant très épais, il se lit d’une traite. On ne sort pas indifférent de ce récit des moments forts de la vie du réalisateur nippon.
Par comparaison avec une bobine de film à l’ancienne ou avec une roue de vélo - sport que Rintarō affectionne tout particulièrement - on voudrait que l’histoire continue de tourner. Chapeau bas !
Voir en ligne : Rintarō lors d’Angoulême 2024 et ailleurs en France ou Belgique (détails ici)
(par Florian Rubis)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : portrait de Rintarō/© La Cinémathèque française/Frédéric Benzaquen
Rintarō — "Ma Vie en 24 images par seconde" — Kana ׀ Dargaud (Dargaud-Lombard s.a) — 27,90 €
Master class de Rintarō (animée par Fausto Fasulo), Scène Manga, à l’Alpha, Angoulême le 26 janvier 2024 de 16 h 15 à 17 h 30
Le soir, projection d’épisodes d’Albator, avec la présence de Rintarō, au Cinéma CGR, Angoulême, 19h45
Masterclass avec Rintarō et Joann Sfar (animée par Fausto Fasulo), Scène Manga, à l’Alpha, Angoulême, le 27 janvier 2024, de 14h30 à 15h45
[1] Rintarō a d’ailleurs revisité son seinen Sabu & Ichi.