Le fils de Pan - Par Fabrizio Dori - Ed. Sarbacane

Ah, si le monothéisme n’avait pas rejeté aux oubliettes le monde des dieux multiples aux aventures fantastiques, voilà comment notre monde pourrait (peut-être) mieux vivre. [1]

Et c’est à raconter de bonnes histoires que s’emploie parfaitement Fabrizio Dori, dont la phrase prononcée par un de ces personnages vaut d’ailleurs programme : "Si nous racontons de mauvais histoires, nous finirons par vivre dans un monde mauvais, inepte, dépourvu de sens".

Reprenons le fil (d’Ariane) de cette histoire, qui peut cependant tout à fait se lire indépendamment du premier volume. Qui est Eustis ? Laissons la parole à nos protagonistes [2]

Eustis a été puni pour avoir pourchassé une nymphe. Le voilà donc condamné à errer dans ce monde humain, dont il ne comprend pas les codes et qui n’aspire qu’à une chose : suspendre cette malédiction. Mais, pour cela, il lui faut mener à bien quelques missions. Dans ce second volume, Eustis se voit chargé de parfaire l’éducation du fils de Pan. Il y fait aussi la connaissance de Zoé, la fille du vieillard du premier volume, mais qui ne lui ressemble aucunement. Là où le père était curieux de tout et se prêtait aux aventures fantastiques d’Eustis, Zoé elle, entend tout maîtriser (elle est cadre dans une grande entreprise qu’elle est chargée de rendre la plus productive possible). Pas besoin d’en dire plus, il
suffit ensuite de se laisser prendre par la main.

Un des intérêts de cet ouvrage est de porter un regard décalé sur l’humanité, sur ses usages qui paraissent exotiques aux yeux enfantins du fils de Pan. Un des autres intérêts, et non des moindres bien sûr, est l’exceptionnelle qualité graphique de l’album. S’il peut se lire d’une traite (et assez rapidement au final, malgré ses 236 pages), on aura tout intérêt (et on aura envie) de s’arrêter sur de nombreuses planches et cases d’une rare beauté, aux influences parfaitement maîtrisées et utilisées (les peintres en premier lieu, de Klimt à Mondrian, en passant par Corot, Vallotton, Delaunay, mais aussi les dessinateurs bien sûr, comme W. Mac Cay, ainsi que les cinéastes, expressionnistes notamment).

Pour que le rendu à l’édition soit le plus proche possible du dessin (même si F. Dori nous confiait que l’écart existait encore), l’auteur travaille directement sur ordinateur, sur lequel il dessine et peint, à l’aide de sa palette graphique. C’est bluffant.

On ne manquera pas non plus de saluer la qualité d’écriture de cet ouvrage, très attaché à la narration et aux mots tout simplement (il est d’ailleurs tout aussi possible de jouer au jeu des "citations" dans ce domaine-là, nous confiait F. Dori. De Zoé et son entreprise Penthéus, en passant par Trophonius, il y a matière : pas de "PAN"ique oserait-on dire.

On ne saurait terminer sans parler du travail de l’éditeur, Sarbacane, à l’exigence bienveillante, qui a laissé plusieurs années à F. Dori pour peaufiner son travail, et qui nous délivre, encore une fois, un ouvrage de grande tenue, au dos toilé et à la couverture particulièrement réussie.

Combien de temps nous faudra-t-il attendre le prochain ouvrage de F. Dori ? Nul ne le sait, et l’auteur non plus, qui attend que les idées lui viennent, sans savoir comment elles le font, nous confiait-il.