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Quai d’Orsay : le compromis de l’adaptation

Par Charles-Louis Detournay Morgan Di Salvia le 6 novembre 2013                      Lien  
Annoncée depuis deux ans, Bertrand Tavernier livre enfin sa vision cinématographique de "Quai d'Orsay" : très respectueuse, ponctué d'innovations intéressantes, mais dans laquelle le ministre perd de sa superbe. Difficile de se hisser au niveau des albums de Christophe Blain et Abel Lanzac... En librairie, une intégrale enrichie d'inédits complète le tableau.

Si vous êtes passé à côté de Quai d’Orsay, ce diptyque paru chez Dargaud traite des coulisses du monde diplomatique, vu par Arthur, un jeune universitaire chargé de la rédaction des discours d’un imposant ministre des affaires étrangères, le moment est venu de s’y mettre. Le compte rendu en est si véridique que l’on a cru que Dominique de Villepin lui-même avait pu se cacher derrière le pseudonyme du scénariste, avant qu’Abel Lanzac ne se découvre au public.

Les deux tomes de Quai d’Orsay, Chroniques diplomatiques ont été salués unanimement par les lecteurs et la critique. Nous en avons parlé abondamment, mettant en avant les tomes 1 et 2, récompensés par le Grand Prix RTL en 2010, une sélection à Angoulême en 2011 avant de recevoir le Prix du Meilleur Album à Angoulême 2013 !

Quai d'Orsay : le compromis de l'adaptation
Abel Lanzac (à g.), ici avec Christophe Blain, découvre pour la première fois son visage.
Remise du Prix du Meilleur Album au festival d’Angoulême 2013.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Comment comprendre la recette de ce succès ? Morgan Di Salvia décortiquait dans nos pages : « On connaissait le talent de Blain pour les récits de genre (Isaac le Pirate, et les westerns Gus, Hiram Lowatt & Placido), il est éblouissant dans ce nouveau registre piquant et politique. Scénario mordant, dessin vif et hyper expressif : "Quai d’Orsay" est un des chefs-d’œuvre parus cette année. ».

Alors que le premier tome dépassait déjà les 120.000 exemplaires vendus en 2011 (un record pour un début de série !), Didier Pasamonik rapportait les propos de Christophe Blain lors de la présentation du tome 2 : « En substance, tout est vrai », précisait Blain, « la volonté des auteurs est de montrer comment se passent les relations internationales, mais il fallait que ce soit "jamais didactique mais toujours romanesque." Dès lors, pour permettre cette liberté dans la narration, il fallait que ce soit une fiction. »

Lhermitte, une erreur de casting ?

Quand un succès est au rendez-vous, les propositions d’adaptation affluent souvent. À choisir entre téléfilm, dessin animé, et grand écran, ce sont vers cette dernière option que se sont tournés les auteurs, surtout quand on annonce que Bertrand Tavernier est derrière la caméra, et que Christophe Blain et Abel Lanzac sont sollicités à la co-écriture du scénario.

On pouvait craindre que le film ne trahisse l’esprit des deux albums, mais il n’en est rien ! Au contraire, les séquences sont respectées, avec leurs détails, voire parfois leurs répliques. On se rappelle que Lanzac et Blain avaient rendu hommage à Agnès Jaoui dans le premier tome, pour sa relecture attentive et ses conseils qui ont sûrement profité au rythme des dialogues.

La difficulté vient souvent du casting, mais globalement, on ne peut que se réjouir des acteurs choisis : Raphaël Personnaz interprète parfaitement l’Arthur naïf propulsé dans un monde aux règles inconnues, l’équipe du ministre joue sur les contrastes, et l’humour pince-sans-rire de Jane Birkin fait des merveilles.

Mais il fallait un capitaine à cet équipage : il devait être grand, étrange, mystérieux, à la fois intérieur et exalté, comme emporté par une quête sacrée auxquelles ses collaborateurs ne devaient deviner que les contours. Et l’on a beau apprécier Thierry Lhermitte, il n’arrive pas à la hauteur du personnage. Son visage est ouvert, il est plus souvent jovial qu’habité. Certaines séquences comme celle du Stabilo qui renforçaient la complexité et l’absurde du ministre, tout en augmentant l’effet comique, ces séquences perdent beaucoup de leur saveur pour ceux qui auraient lu les albums avant de découvrir le film.

De belles surprises...

Le réalisateur Bertrand Tavernier introduit doucement son film. Même pour le néophyte, la première heure comporte des longueurs. On apprécie néanmoins le mouvement donné par les feuilles qui s’envolent et les portes qui claquent dès que le Ministre approche. Cela renforce l’humour du film, où l’on se passionne plus qu’on ne rit.

Arthur, aux prises avec la difficulté de refaire un discours dans l’antichambre d’un centre de congrès

Heureusement, dans sa seconde partie, Tavernier dope sa réalisation par un jeu de caméra et de plans dynamiques. Lhermitte retrouve alors de la vigueur et personnifie mieux le punch que Blain mettait dans le personnage : ses mouvements brusques et inattendus, sa gestuelle (principalement son langage des mains) et sa décomposition sonore d’idées (Tac-Tac-Tac). Dommage que le plan final du discours à l’ONU tombe à plat, alors que les émotions de ce moment ’historique’ étaient traduites par les personnages en recul dans la bande dessinée.

Le film propose néanmoins d’intéressantes innovations : la chanson grivoise du conseiller aux Amériques, et surtout la touche plus marquée de la vie privée d’Arthur. Alors que les albums le mettaient sporadiquement aux prises avec une maîtresse peu présente et parfois logiquement intolérante, le film a décidé de jouer le contraste plus appuyé entre l’irréalité du cabinet, et la vie ’normale’. La demoiselle qui partage donc les confidences du héros est une jeune et fraîche institutrice attentionnée, qui lui rappelle des considérations plus terre-à-terre, comme l’expulsion d’une famille d’immigrés. Le paradoxe de ces séquences rajoutent un humour bienvenu.

Bertrand Tavernier, entre les deux acteurs principaux de son adaptation

Une intégrale enrichie d’une séquence inédite

Cette adaptation se laisse donc voir avec plaisir, sans parvenir à se hisser, on l’aura compris, au niveau qualitatif des albums. Une des vertus du film est qu’il poussera sans doute les spectateurs à découvrir l’univers déployé par Lanzac & Blain. À ce titre, Dargaud profite de l’événement pour publier une intégrale des deux Chroniques diplomatiques, agrémentée d’un récit inédit de 14 pages.

Un extrait de l’épilogue inédit
© Blain - Lanzac - Dargaud

Cet inédit, reproduit dans sa forme originelle de storyboard crayonné, est un épilogue qui avait été enlevé du second tome. Il ne s’agit donc pas de planches achevées, encrées et mises en couleurs. Ceci dit, du point de vue de l’amateur de bande dessinée, ces feuillets au crayon épais de Christophe Blain sont tout simplement époustouflants d’énergie, de puissance comique, pratiquement sans aucun repentir. Sans être indispensable (ce fut valse hésitation pour les auteurs et l’éditeur), cet épilogue apporte une fin d’une tonalité légèrement différente au récit, tout en permettant de découvrir le dessous des cartes de la création de cette bande dessinée magistrale.

En conclusion, le film « Quai d’Orsay » reste une comédie réussie et fidèle aux aspirations de Blain et Lanzac. On appréciera d’ailleurs, le fait que Bertrand Tavernier ait souhaité associer les auteurs de la bande dessinée au scénario et à la réalisation de son film, là ou de nombreux cinéastes se contentent de vampiriser un album (souvenons nous de l’exemple récent d’Abdellatif Kechiche vis à vis de Julie Maroh).

Pour l’occasion, l’ancien conseiller ministériel sort même de l’anonymat, en signant le scénario de son véritable nom. Rendons à César : sans Abel Lanzac / Antonin Baudry, ces souvenirs du Quai d’Orsay seraient restés d’incroyables récits uniquement partagés dans la sphère privée. Pareille plume méritait la pleine lumière !

L’édition intégrale parue en octobre
© Blain - Lanzac - Dargaud

(par Charles-Louis Detournay)

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Quai d’Orsay sort en salle ce 6 novembre.

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Lire nos articles traitant de Quai d’Orsay :
- le tome 1 : Blain et Lanzac transforment le Quai d’Orsay en Actor Studio de la politique
- Les habits neufs de la bande dessinée politique

 
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