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Boris Vian, toujours vivant !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 mars 2020                      Lien  
L’auteur de « L’Écume des jours » aurait eu cent ans aujourd’hui. Une célébration qui justifie la publication de bien beaux livres de bande dessinée chez divers éditeurs -pas moins de sept titres très divers et aussi intéressants les uns que les autres- écrits par Boris Vian et son double : Vernon Sullivan. Jamais l’auteur n’aurais été aussi présent, ni aussi vivant, grâce au 9e art.
Boris Vian, toujours vivant !
« Piscine Molitor » d’Hervé Bourhis et Christian Cailleaux (Ed. Dupuis)

La phrase, mise en exergue du livre de Christian Cailleaux et Hervé Bourhis, Piscine Molitor (Ed. Dupuis – Collection Aire Libre), tirée de son roman le plus célèbre, L’Écume des jours, donne le « La » de cette vague d’ouvrages signés Boris Vian : « Cette histoire est totalement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre.  »

Elle est aussi caractéristique d’un Boris Vian qui, fasciné par la culture américaine, est sorti de la noirceur de la guerre pour remettre de la lumière sur Paris, brûlant la vie par tous les bouts, quitte à s’en inventer d’autres. Ce bel ouvrage biographique qu’est Piscine Molitor traduit parfaitement ce qu’était Vian : une personnalité tragique, une sensibilité en sursis, un dandy à la respiration intense et syncopée, comme le jazz qu’il admirait tant.

Comme à son habitude, Hervé Bourhis sait faire saillir l’anecdote tandis que Christian Cailleaux, en disciple de Loustal et de Baudoin, esquisse des portraits élégants et profonds d’une grande justesse dans les expressions comme dans les attitudes. S’il est un album qui célèbre avec acuité le centenaire de Boris Vian, c’est bien celui-là.

« Piscine Molitor » d’Hervé Bourhis et Christian Cailleaux (Ed. Dupuis)
© Dupuis
« J’irai cracher sur vos tombes » de Jean-David Morvan, Rey Macuray, Rafael Ortiz et Scietronc (Ed. Glénat)

Alias Vernon Sullivan

Saluons aussi l’opportunisme des éditions Glénat qui adaptent en bande dessinée deux de ses polars les plus caractéristiques, publiés par Vian sous le pseudonyme « américain » de Vernon Sullivan : J’irai cracher sur vos tombes et Les Morts ont tous la même peau.

C’est que nous sommes en France, au moment de leur publication, sous le charme d’une certaine Amérique, celles des films noirs et des romans hard boiled façon Peter Cheney ou James Hadley Chase qui paraissant dans la toute nouvelle collection de la Série Noire dirigée par Marcel Duhamel, le traducteur de Steinbeck ou d’Hemingway.

Boris Vian, qui a envie de se mettre à ce type de littérature comme il se met au jazz, se glisse dans la peau d’un auteur de polar venu d’outre-Atlantique. Non plus ces romans à énigme comme ceux de John Dickson Carr, mais des romans « mâles », durs et violents, aux passions exacerbées. Ces ouvrages ont plus de succès que L’Écume des jours qui ne se vendit pas vraiment du vivant de l’écrivain.

Au prix, il est vrai d’un procès pour « atteinte aux bonnes mœurs » qui apportera à Vernon Sullivan une notoriété inattendue, celle d’un « pornographe ». Il faut dire que dans ces deux romans, il évoque une Amérique très éloignée de l’image marmoréenne des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale : il y est question de la dureté de la vie sociale aux USA et surtout du « problème nègre » comme on disait alors. J’irai cracher sur vos tombes lui vaut l’opprobre des gens convenables et il n’a pas encore chanté Le Déserteur  !

« J’irai cracher sur vos tombes » de Jean-David Morvan, Rey Macuray, Rafael Ortiz et Scietronc (Ed. Glénat)
© Glénat
« Les Morts ont tous la même peau » de Jean-David Morvan, Germán Erramouspe et Mauro Vargas (Ed. Glénat)

Jean-David Morvan, qui a une longue pratique de ce genre d’adaptation, transpose très bien l’esprit du roman en un scénario rythmé qui suit pas à pas le destin de Lee Anderson, un jeune homme à la belle gueule et à la situation sociale enviable dans une Amérique encore largement ségrégationniste, mais à la personnalité trouble. Le dessin du trio Rey Macuray, un dessinateur philippin plus que doué, de l’Argentin Rafael Ortiz et du Français Scietronc est proche de celui de Jordi Bernet et illustre la façon dont l’œuvre de Vian est aujourd’hui appropriée par des artistes d’horizons très différents. C’est efficace, élégant et, en dépit d’un assemblage que l’on devine laborieux sans doute facilité par la tablette graphique et l’Internet, lisible et fluide. Une belle évocation.

Les Morts ont tous la même peau (Ed. Glénat) est du même acabit. Non seulement les dialogues de Jean-David Morvan crépitent dans un staccato furieux, mais les dessinateurs, argentins eux-aussi, Germán Erramouspe et Mauro Vargas, savent ménager des splash-pages ébouriffantes pour évoquer le parcours chaotique d’un raciste rattrapé par l’ironie de la vie. Ça cogne et ça baise à chaque page, avec cette pointe d’humour quasiment surréaliste propre à l’écriture de l’auteur.

« Les Morts ont tous la même peau » de Jean-David Morvan, Germán Erramouspe et Mauro Vargas (Ed. Glénat)
© Glénat

Vian par Morvan

Jean-David Morvan abat la quinte-flush royale en libraire puisque Delcourt réédite en même temps deux autres ouvrages de l’écrivain présents dans son jeu : rien moins que L’Écume des jours publié en 2012, une œuvre fascinante où il enfile les situations improbables et les jeux de mots du même tonneau, ici magnifiquement illustrée par une Marion Mousse déjà percutante, tandis que Frédérique Voulyzé épaule Morvan au scénario.

La réception de ce roman, à l’époque de sa sortie en 1947, avait recueilli une certaine indifférence de la part de la critique comme du public, mais, à partir de 1968, sans doute en raison de son caractère déconstructif, il avait été un livre générationnel dont cette bande dessinée prolonge le caractère étrange.

Autre ouvrage publié chez Delcourt par Morvan, toujours avec le concours de Frédérique Voulyzé à la même époque et ici réédité avec une nouvelle maquette : L’Arrache-Cœur, œuvre ultime et cependant capitale. Voici comment en parlait David Taugis, toujours aussi pertinent, sur ActuaBD.com, évoquant notamment le dessin de Maxime Péroz : «  Un style épuré, privilégiant les aspects oniriques et philosophiques de l’œuvre maudite de Vian, décidé à abandonner l’écriture devant son insuccès à la sortie. » On ne saurait mieux dire.

« L'Écume des jours » de Jean-David Morvan, Frédérique Voulyzé et Marion Mousse et « L'Arrache-Cœur » de Jean-David Morvan, Frédérique Voulyzé et Maxime Péroz (Ed. Delcourt)

« L’Automne à Pékin » par Gaëtan et Paul Brizzi (Ed. Futuropolis)

Vian version Brizzi Brothers

Les frères Gaëtan & Paul Brizzi, de leur côté, avaient publié le très bel Automne à Pékin chez Futuropolis en 2017, une bande dessinée dans laquelle le dessin « cartoon » de ces deux dessinateurs qui figurent dans l’Olympe des meilleurs réalisateurs français du dessin d’animation, collait parfaitement à l’esprit enjoué de l’écrivain.

Ils remettent le couvert ces jours-ci -mais comme illustrateurs cette fois- toujours chez Futuropolis avec une fois encore L’Écume des jours. Leurs dessins originaux font l’objet d’une exposition-vente à la Galerie Maghen à Paris à partir du 17 mars prochain. Le vernissage a lieu le jeudi suivant, occasion unique de rencontrer ces deux grands artistes.

« L’Écume des jours », texte intégral illustré par Gaëtan et Paul Brizzi (Ed. Futuropolis)

DERNIÈRE MINUTE

Report de l’exposition L’Écume des jours dédiée aux frères Paul & Gaëtan BRIZZI
Galerie Daniel Maghen, Paris 1er

Suite aux déclarations gouvernementales sur le Covid-19, la galerie Daniel Maghen a décidé de reporter l’exposition L’Écume des jours dédiée aux frères Paul et Gaëtan Brizzi à une date ultérieure. Les nouvelles dates de l’exposition, du vernissage et de la séance de dédicaces seront communiquées prochainement.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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2 Messages :
  • Boris Vian, toujours vivant !
    11 mars 2020 13:44

    Marion Mousse est un homme ! Sans doute un fan de John Wayne (de son vrai nom Marion Morrisson) pour voir choisi un tel pseudo !

    Répondre à ce message

  • Boris Vian, toujours vivant !
    14 mars 2020 05:51, par VP

    "Christian Cailleaux disciple de Loustal et de Baudoin ???"… De Baudoin ??… Celle-là est assez osée… À la sortie du Café du Voyageur (Treize Etrange) on faisait le lien avec Loustal (sans qu’il n’y ait de jazz) ou Götting… mais Baudoin ? … Plus proche peut-être d’Alfred (qui lui reprend des "trucs d’encrage nerveux" de Mattotti en n&b, voire de Ghermandi…), mais Baudoin ???…

    Répondre à ce message

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