Le fond de l’affaire, Isabelle Franquin l’explique bien en début d’interview : elle n’exerce que le droit moral sur le personnage de son père, celui-ci ayant vendu de son vivant tous les autres droits : « …depuis qu’il a vendu les droits patrimoniaux en 1986 et 1992 à Jean-François Moyersoen (NDLR : homme d’affaires monégasque et fondateur de Marsu Productions, qui les a lui-même revendus à Dupuis en 2013). »
Ce droit moral est cependant limité : il tient compte des intérêts du propriétaire des droits patrimoniaux de l’œuvre, c’est-à-dire aujourd’hui Dupuis.
A-t-elle pu exercer le droit moral ? Oui. Selon ses dires, elle a retoqué les premiers scénarios proposés (dont on ne sait pas s’ils sont de PEF). Quant au réalisateur, elle a refusé de le rencontrer : « PEF, dès que j’ai reçu son scénario, je n’avais plus du tout envie de le rencontrer. Et je ne l’ai, donc, jamais rencontré. » Pas évident, dès lors, d’exercer son droit moral en bonne entente avec le réalisateur…
D’ailleurs, elle ne voulait d’un film à aucun prix. Pour elle, Gaston, « …C’est, en quelque sorte, un personnage « mort ». Mais moi, je pense qu’on peut continuer à le faire exister autrement, en multipliant les initiatives, comme la restauration des couleurs des albums Gaston ou les expositions au C.B.B.D [Centre Belge de la Bande Dessinée], au Centre Wallonie Bruxelles et à la Bibliothèque du Centre Pompidou à Paris. »
Ce qui n’est évidemment pas de l’avis de Dupuis, détenteur des droits d’édition et qui espère profiter du film pour proposer de nouvelles publications de l’œuvre comme cette intégrale des rédactionnels d’En Direct de la rédaction qui vient de sortir ces jours-ci en librairie.
Doit-on laisser Gaston dans un mausolée ?
Il y a donc là bien deux façons d’envisager l’héritage de Gaston (et du Marsupilami) : soit les laisser dans un mausolée habiter le passé et se couper ainsi des nouveaux lecteurs qui pourraient découvrir le personnage grâce à ces utilisations dérivées ; soit lui donner une dynamique nouvelle qui n’oblitère en aucun cas l’œuvre originale. Comme Astérix, comme Tintin, comme Spider-Man avant eux, qui ont conquis de nouveaux publics sur plusieurs continents.
Lorsque nous avons vu le film, nous avions deux constats à faire :
1/ L’adaptation est-elle sincère et fidèle ?
Sur le premier point, nous avons déjà répondu à la question dans un précédent article. Nous qui avons rencontré Pierre-François Martin-Laval PEF, nous avons pu constater que nous avions face à nous un véritable amoureux de Franquin, connaissant le moindre détail de l’œuvre comme en témoigne les quelques vingt inventions que le réalisateur a adapté à l’écran.
2/ Est-ce un bon film ?
Notre réponse, là encore, a été : oui.. « L’adaptation est d’une grande subtilité, écrivions-nous, et, après le changement de paramètre initial qui remet Gaston dans un cadre plus moderne, après que la mouette rieuse ait enlevé en piqué le complément capillaire de l’homme d’affaire, on constate que cette adaptation est d’une extrême fidélité. Jusque dans le détail, l’univers de Gaston est restitué, réinventé et parfois enrichi. Lui-même comédien, Pef a tout misé sur le jeu des acteurs. Sur le casting d’abord : chacun des personnages, à commencer par Théo Fernandez-Gaston, une espèce de grande asperge en latex, lymphatique et sympathique. Son nez n’est pas en forme de tubercule ? Ben, non, et on s’y fait très rapidement. Surtout, il joue juste, juste comme dans la BD d’André Franquin. C’est le réalisateur lui-même qui joue le rôle de Prunelle, en DG de start-up qui en réfère à un patron que, comme dans la BD, l’on ne voit jamais. » Isabelle Franquin n’a sans doute pas dû voir le même film que nous.
Nous pensons que, grâce à ce film, Gaston va connaître de nouveaux publics qui vont découvrir le merveilleux travail de Franquin. Savez-vous que les droits de cette production ont été vendus en Chine ? Franquin aurait été curieux et sans doute fier de ce résultat.
Surtout, il aurait surtout pris la chose avec humour, comme lorsque l’on a fait de Gaston un jouet en latex, sa première utilisation en produits dérivés : il en a tiré la substance de plusieurs gags mémorables...
Il nous semble que traiter Gaston avec un tel esprit de sérieux et en empêcher le déploiement vers de nouveaux horizons, est bien plus dommageable que de laisser un cinéaste s’amuser avec sincérité avec le personnage et son univers, dans un film dont chacun, au final, pourra juger de la qualité. Il ne faut pas confondre une oeuvre avec son interprétation.
Que chaque spectateur parmi nos lecteurs vienne nous en rapporter l’expérience en allant voir le film dès ce soir.
COMMUNIQUÉ DES ÉDITIONS DUPUIS
Demain sort le film Gaston LAGAFFE de Pierre François Martin-Laval, dans de nombreuses salles en France et en Belgique.
Nous tenions à dire à quel point nous étions fiers de pouvoir défendre ce film attachant, juste et drôle, aux côtés du réalisateur, des acteurs, et de toute l’équipe de production, qui se sont engagés depuis des années avec tant de conviction, de sincérité et de créativité.
Pierre François Martin-Laval, qui connaît évidemment par cœur l’œuvre du grand maître de la bande dessinée, a fait le juste choix de replacer Gaston dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui, pour transmettre et partager sa passion et son admiration au plus grand nombre, et en particulier aux plus jeunes générations, mais aussi pour être fidèle à l’esprit de Franquin, pour qui le personnage de Gaston était un personnage contemporain, ancré dans son époque.
L’existence de ce film, alors que la série de bande dessinée n’a pas connu de nouveautés depuis 1996, est aussi une formidable opportunité de faire (re)découvrir le personnage, sa bande, et son univers, à de nouveaux lecteurs de tous âges.
Nous partageons avec Pierre François Martin-Laval cette formidable ambition, celle de faire de Gaston un personnage universel, trans-générationnel et bien vivant, afin que les messages d’André Franquin -plus que jamais d’actualité - de tolérance, d’écologie, d’amour et d’humour puissent continuer à rayonner sans cesse.
Chez Dupuis, l’éditeur historique de Franquin, et à la rédaction de Spirou, qui a vu naître et qui a abrité les aventures de Gaston, nous sommes particulièrement fiers et déjà fans de ce film, de son rythme endiablé, des émotions et des éclats de rire qu’il suscite.
Nous invitons les lectrices et les lecteurs de Gaston, mais aussi celles et ceux ne le connaissant pas encore, à courir le voir…
Bon film à toutes et à tous !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Gaston Lagaffe de Pierre-François Martin-Laval, avec Théo Fernandez, Pierre-François Martin-Laval, Arnaud Ducret, Jérôme Commandeur, Alison Wheeler… En salle le 4 avril 2018.
Dessins d’André Franquin © Dupuis, 2018
Photos : Arnaud Borrel © 2017 - Les Films Du Premier – Les Films du 24 – Tf1 Films Production – Belvision Avec la participation de TF1 et OCS. Tous droits de reproduction réservés
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