De lui, on se souvient de Den, qui paraissait dans Métal Hurlant, où les héros musculeux, le plus souvent nus, vivaient des aventures érotico-fantastiques. Ce qui frappait, c’était la forme du dessin, au trait nul autre pareil, et qui influença jusqu’à Tardi ou Gal ; mais surtout les couleurs, à l’opposé des camaïeux rassurants de Tintin et Blake & Mortimer : pétantes, fluo, hard rock en fait (Dionnet et Manœuvre ne s’y étaient pas trompés), d’une modernité éblouissante...
Le secret de Corben ? C’était le roi du ben-day, ce système manuel de séparation des couleurs. Il faut avoir eu les films de reproduction en main pour se rendre compte qu’il retouchait chaque couleur, ajoutant ici de la trame, grattant du noir un peu plus loin. Résultat, des teintes uniques : là un rose pétant, ici un mauve improbable ou encore un jaune vif ; voici un corps de femme, nue et pulpeuse, à la carnation délicate ; là encore un vert pomme... Tout un pan de la création moderne fut inspiré par ses univers crépusculaires et violents, à commencer par un certain Liberatore...
Ce volume reprend quelques-uns des plus grands moments de l’œuvre de Corben, quand il travaillait pour la Warren, sur les titres Eerie & Creepy, des fascisules d’horreur : des courtes nouvelles de quatre à dix pages qui vous campent en un tour de main une ambiance délicieusement horrifique, avec humour et second degré en prime.
Les thèmes sont très variés : cela va du Dévoreur de pages de Gerald Conway, un récit de malédiction à la Edgar Allan Poe, à la "frayeur forestière" pleine de loups-garous de Lycanklutz que Corben écrit lui-même, au conte de Noël sanglant à la Stephen King de Bless us, Father... (sc. Bill Dubay), jusqu’à l’histoire de momie à la Indiana Jones de Terror Tomb (sc. de Corben).
Nous vous parlions de la mise en couleur particulière de Corben. Le problème, c’est que 35 ou 40 ans après la création originale, les procédés de photogravure et d’impression ont complètement changé. Finis les bidouillages sur un coin de table, avec parfois six films par page : on est passé au tout électronique où il n’y a même plus de films...
Heureusement, le coloriste, photographe et peintre Jose Villarubia a veillé au grain : il s’est chargé de la restauration des traits et couleurs d’origine (pour les pages en couleurs), au besoin pour les améliorer avec l’accord de l’artiste, en partant soit des originaux quand l’auteur les possédait ou lorsqu’un collectionneur acceptait de les prêter, ou encore d’après les imprimés de l’époque retouchés pour la circonstance. La traduction, inventive et impeccable de Doug Headline achève ce travail d’archive de très haute qualité.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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