Jadis, on appelait cela des « livres d’artistes », ces ouvrages édités par des galeristes comme Ambroise Vollard ou Daniel Kahnweiler qui sollicitaient des peintres comme Vuillard, Gauguin, Toulouse-Lautrec ou Picasso, créant ainsi un marché quelquefois populaire, en entrée de gamme pour leurs estampes, en même temps qu’un produit pour les bibliophiles.
Puis, la bibliophilie aidant, cette pratique s’est grandement répandue, suscitant des ouvrages qui peuvent être considérés comme les précurseurs de nos romans graphiques, Frans Masereel par exemple.
La steppe vide
« Livre d’artiste », Varlamov l’est assurément. Le peintre Georges Peignard s’inspire de La Steppe d’Anton Tchékov, un ouvrage délicat où le grand écrivain russe raconte le premier voyage d’un enfant de dix ans dans les steppes d’Ukraine sur les terres d’un propriétaire, Varlamov, dont ses parents espèrent tirer on ne sait quel bénéfice, l’homme ayant la réputation d’être « plus riche que la comtesse Dranitskaïa ».
Le Varlamov de Peignard, au contraire de son modèle, est contemporain : aucun humain n’y figure, juste une bête de somme parcourant les herbes grasses, de moins en moins fournies au fur et à mesure de son cheminement, jusqu’aux montagnes à la recherche d’une humanité absente, aux traces cependant partout visibles, parcellaires et énigmatiques. Allusion à Tchernobyl ? Peut-être. Les images se laissent interroger, composer leur propre histoire, laissant le lecteur dans sa méditation.
L’illustrateur de la cruauté
L’autre bonne surprise est l’édition d’une petite anthologie de courtes histoires de l’illustrateur américain Edward Gorey (1925-2000). On lui doit des dizaines de livres, parfois pour enfants, où son dessin acéré comme une pointe sèche égrène des situations proprement surréalistes, quelquefois cruelles, toujours empreintes d’une inquiétante poésie.
Là encore, nous sommes dans le silence de l’image, les textes intervenant en voix off, incisifs comme des haïkus. Cette anthologie comporte quatre histoires morbides et raffinées aux titres évocateurs : L’Enfant Guigne (1961), Les Enfants fichus (1963), Total Zoo (1967) et Le Couple détestable (1977). Leurs images s’impriment dans nos mémoires comme elles ont imprégné une génération de créateurs qui s’en réclament : Tim Burton, Terry Gilliam ou Alison Bechdel. Des cauchemars qui valent le le détour.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.