Eddie est un sans-abri d’âge mûr qui vit à Venice Beach, Los Angeles. Séparé de son ancienne femme et de son fils qu’il n’a pas vu grandir, Eddie souffre de troubles psychologiques et trouve refuge à sa misère dans une consommation excessive de bière.
Bien qu’il soit tourmenté par ses démons, Eddie est sensible aux dures réalités de ses compagnons d’infortune, voire des jeunes laissés pour compte qui échouent sur les plages du Pacifique. Un soir, à la recherche de subsistance, Eddie va découvrir dans une benne à ordures les cadavres tout chauds d’une jeune sans-abri et de son chien ; Eddie est choqué par cette vision horrible.
Cette situation est le point de départ pour le scénariste Joshua Dysart afin de proposer un thriller efficace, où Eddie va rechercher quel a été le parcours de cette jeune femme et comment elle a pu finir ainsi. Ses découvertes progressives lui confirmeront sa pensée : la Cité des anges est loin d’être aussi rutilante qu’elle n’y paraît.
Au-delà de l’intrigue, relativement plaisante, le principal intérêt de l’album est la plongée rare qu’il offre dans l’univers des sans-abris de Los Angeles. Sans fard ou artifice, l’album développe une vision éprouvante d’un univers qui n’est clairement pas pensé pour que ses membres s’en sortent. Un prix de l’immobilier parmi les plus chers au monde, des autorités locales et étatiques qui mettent peu de moyens dans les accueils d’urgence, une prise en charge quasiment absente pour les troubles psychologiques… La représentation de cette situation ne peut que faire réfléchir le lecteur, d’autant plus qu’elle est rare dans l’univers des Comics ces derniers temps.
L’album offre aussi une mise en perspective intéressante du microcosme californien qui est réuni à Venice Beach, lieu de confrontation (depuis sa création) entre la réalité rêvée des classes les plus riches et celle le plus souvent brisée des plus pauvres qui espèrent y trouver refuge. L’album traite ainsi directement de la gentrification du quartier, où les pontes de l’économie numérique issus de la Silicon Valley espèrent voir partir au plus vite celles et ceux qu’ils considèrent comme des parasites. Une vision, certes un peu manichéenne, mais qui rappelle une réalité économique qui n’est pas celle du vivre-ensemble.
L’intrigue de l’album est portée par les planches agréables du dessinateur Alberto Ponticelli qui parvient par la justesse de son trait à dépeindre un environnement bien difficile.
Animé par son personnage principal, ni foncièrement bon, ni foncièrement mauvais, mais poussé par une empathie certaine, Goodnight Paradise est un album qui mérite le coup d’œil pour son propos social assumé et son intrigue efficace qui réserve un agréable retournement de situation au moment de sa conclusion.
(par Romuald LEFEBVRE)
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Goodnight Paradise. Par Joshua Dysart (scénario) et Alberto Ponticelli (dessins). Traduction de Laurence Belingard. Panini Comics. Sortie le 21 avril 2021. 176 pages. 19,95 Euros.