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Il se passe des choses chez 2024

Par Manuel Roy le 18 juillet 2013                      Lien  
Lauréat 2010 du prix {Jeunes talents} du Festival International d’Angoulême et co-fondateur (avec [Léon Maret->art13396]) du fanzine {Belles illustrations}, Guillaume Chauchat publie son premier album aux éditions 2024 : {Il se passe des choses...}

Il se passe des choses..., le premier tome du premier ouvrage publié de Guillaume Chauchat, se présente comme l’illustration de la chanson blues d’un certain William Harriet Young : le Waiting For An Answer Blues [1]. Une invention de Chauchat ? C’est probable, quoique l’auteur se dise grand amateur de Blues. Votre humble chroniqueur, lui-même féru de ce genre de musique, avoue candidement ne jamais avoir entendu parler de cette pièce ou de ce chanteur, qui semblent d’ailleurs investis d’une ingooglabilité quasi surnaturelle. Mais peu importe, direz-vous : Racontez-nous donc l’histoire.

Oula, oula, oula, minute papillon ! Bien sûr que cela importe. Parce que c’est justement ça, l’histoire : celle d’un petit personnage, probablement fictif, mais qu’on fait passer pour un vrai bluesman, se disant à la recherche d’une réponse. Il veut savoir pourquoi il se passe des choses, pourquoi arrivent toutes ces choses qui, précisément, nous sont racontées dans l’album : pourquoi la feuille de l’arbre tombe par terre, pourquoi les amoureux s’embrassent, pourquoi le poivrot se bourre la gueule, pourquoi le chien jappe, pourquoi le magicien prononce sa formule magique, etc.

Il se passe des choses chez 2024
Guillaume Chauchat, Il se passe des choses © 2024, 2013.

Mais ces choses qui se passent dans l’album ne sont justement rien de plus (et rien de moins) que des dessins, ce ne sont que des histoires qu’on nous raconte . Par conséquent, Il se passe des choses, c’est l’histoire d’un chanteur qui se demande pourquoi des histoires nous sont racontées, et par extension qui s’interroge sur ce qu’il est lui-même en tant que simple personnage qui se demande pourquoi des histoires sont racontées. Vous me suivez ? Mise en abyme : vertige... Bref, la BD de Chauchat, c’est une réflexion sur le statut de la narration picturale, sur la raison d’être du dessin.

Guillaume Chauchat, Il se passe des choses © 2024, 2013.

Chauchat ne se contente pas simplement de soulever la question. Il tente aussi d’y répondre. Il semble reprendre sur ce point le mot de Saul Steinberg, cité par les éditeurs dans le joli dépliant qui accompagne et présente l’ouvrage : « Ce que je dessine, c’est du dessin. » Déclaration géniale s’il en est, sous ses apparences tautologiques et banales : ben oui, le dessin se dessine lui-même ; il n’a pas pour fonction d’imiter ou d’illustrer une réalité qui existe en dehors de lui ; mais ce qui est à l’œuvre dans le dessin, ce n’est rien d’autre que l’expression de la potentialité du dessin lui-même.

Le dessin n’a pas pour fonction de raconter quelque chose qui s’est réellement passé, et il n’est pas nécessaire non plus qu’il soit réaliste ou même vraisemblable au sens large. Il n’a pas besoin de se faire passer pour la réalité. Et même, il se trahit lui-même en tant que dessin dans la mesure où il prétend au réalisme. Car sa vocation n’est pas d’être limité par la réalité, mais simplement de s’explorer lui-même en tant que moyen de communication dans toutes ses possibilités picturales.

Guillaume Chauchat, Il se passe des choses © 2024, 2013.

La compréhension de cette vérité, sans doute, est un moment important dans la vie d’un artiste. C’est un moment libérateur, qui marque le point tournant à partir duquel le dessinateur comprend qu’il trouve son plaisir non pas dans quelque chose d’extérieur à l’œuvre, qu’il pourrait recevoir pour ainsi dire en échange de son œuvre, mais bien dans l’acte de dessiner lui-même. C’est le moment à partir duquel l’artiste devient provocateur, parce que son trait devient l’expression de son émancipation à l’égard des exigences économiques et sociales.

Chauchat, que les co-éditeurs de 2024 nous présentent comme un rescapé du monde de la comptabilité et de l’économie banalement voué à l’ascension sociale et à la richesse, ouvre d’ailleurs sa BD sur le récit d’un homme qui découvre un bouquin intitulé La réponse et qui, à mesure qu’il progresse dans sa lecture, s’affranchit de son apparence réaliste pour devenir de plus en plus, disons, stylisé, abstrait. Il finit par ressembler à une simple arabesque, puis à un genre de nuage. Impossible de ne pas voir de rapport entre la libération à l’égard des dictats socio-économiques et ce qu’on pourrait appeler l’ascétisme pictural de Chauchat, son esthétique du fil de fer, très proche de la calligraphie, où se brouille souvent la limite entre le dessin et le texte. Comme le disait le Nazaréen : « Si tu veux être parfait, abandonne tout et suis moi », principe qui vaut aussi en matière d’art.

Impossible de terminer cette recension sans adresser encore une fois des éloges à l’éditeur. On regrette - même s’il y en a d’autres, bien entendu - qu’il n’y ait pas davantage de maisons d’édition comme 2024, ayant le courage de publier des bandes dessinées de ce genre, véritablement originales, voire marginales, fruit d’une véritable recherche esthétique et d’une démarche authentiquement artistique.

Simon Liberman et Olivier Bron, co-fondateurs de 2024, tous deux diplômés des arts déco de Strasbourg (comme plusieurs des auteurs qu’ils éditent), sont en outre, de toute évidence, des amoureux du travail sobre et bien fait. Tout y est : couverture rigide en papier naturel non couché – très agréable au toucher ‒, feuillets cousus, qualité du papier et d’impression, tranchefile assorti à la couverture, contre-plats, gardes de couleur également assorties et illustrées par l’auteur, gardes blanches, etc. Le tout accompagné d’un petit dépliant informatif et amusant dans lequel l’ouvrage et son auteur sont présentés avec beaucoup de poésie et de finesse. Un bel objet quoi. Un objet de qualité.

Merci les gars ! Vivement les deux autres tomes.

(par Manuel Roy)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Guillaume Chauchat - Il se passe des choses - Éditions 2024

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[1traduction pas très élégante (désolé) : le Blues de l’attente de la réponse.

 
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13 Messages :
  • Il se passe des choses chez 2024
    18 juillet 2013 22:39, par Highe Jacques

    ou la, c`est de l`art, non ?

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    • Répondu par Ganesh le 18 juillet 2013 à  23:34 :

      Non, c’est quelqu’un de très limité en dessin, qui choisit de ne pas travailler ça plus avant et qui en fait une force (très Steinberg ou Benoit Jacques d’ailleurs).

      Répondre à ce message

      • Répondu par Dani Brocoli le 19 juillet 2013 à  08:40 :

        le dessin n’a pas de limite

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        • Répondu par Gege le 19 juillet 2013 à  12:35 :

          la fumisterie non plus (oui, je sais, la perche était facile, mais j’assume ^^ )

          Répondre à ce message

          • Répondu par HD23 le 20 juillet 2013 à  21:29 :

            J` aime bien l` article qui a l`air de vraiment apprecier ce.... brouillon de blog

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      • Répondu par Joe le 22 juillet 2013 à  18:03 :

        Oui, bien sûr, Steinberg ou Benoit Jacques sont très limités en dessin, et Sempé aussi, sans doute ? Les bons dessinateurs seraient donc uniquement ceux qui font ce genre de choses ? (« ouah c’est trop bien fait »)

        Mais sachez que Frazetta, ou Rosinski ou Philippe Francq, sont probablement incapables de dessiner comme Steinberg, Sempé, Benoit Jacques ou Guillaume Chauchat. Dessiner ce n’est pas que de l’esbrouffe et du réalisme, c’est aussi avoir le sens du trait juste, de raconter ce qu’il faut, une approche sans doute plus sensible et plus subjective du dessin.

        (en relisant votre commentaire je me dis que vous ne disiez sans doute pas ça de façon péjorative, mais c’est un peu maladroit).

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      • Répondu par Georges le 30 novembre 2013 à  01:12 :

        non, pas limité en dessin. ceux qui arrivent à accéder au formes du minimalismes se doivent généralement d’acquérir préalablement une très bonne technique générale

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  • Il se passe des choses chez 2024
    21 juillet 2013 13:03, par Manuel Roy

    En effet, j’apprécie vraiment le travail de Chauchat. Comme j’ai souvent cherché à l’expliquer dans cette chronique, il n’y a pas, à mon avis, de critère absolu de ce que serait un bon dessin. Lorsqu’on lit une BD, absolument rien ne nous permet de préjuger des capacités artistiques de l’auteur. Picasso aurait pu dessiner comme da Vinci, mais il se contentait souvent de tracer quelques traits. Un bon lecteur est un lecteur charitable : il part du principe que la capacité de l’auteur est illimitée et suppose a priori que ce dernier a choisi de dessiner comme il le fait pour une raison précise. La question que doit se poser le lecteur charitable, le lecteur qui cherche vraiment à comprendre ce que l’auteur veut lui communiquer, est alors simplement de savoir pourquoi l’auteur a fait ce choix. Le lecteur incapable d’une telle générosité ne lit pas réellement, il n’est pas à l’écoute, il n’est pas ouvert, mais il se place dans la position de celui qui exige qu’on satisfasse son attente personnelle, c’est-à-dire qu’il se place dans la position du simple consommateur qui considère que la raison d’être de l’auteur n’est pas de nous dire quelque chose, mais simplement de contenter le désir préexistant des lecteurs.
    Salutations dominicales.
    Manuel Roy

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    • Répondu le 21 juillet 2013 à  22:29 :

      Un bon lecteur est un lecteur charitable : il part du principe que la capacité de l’auteur est illimitée et suppose a priori que ce dernier a choisi de dessiner comme il le fait pour une raison précise.

      Ce n’est pas un bon lecteur ça, c’est un gros naïf.

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      • Répondu par Manuel Roy le 22 juillet 2013 à  09:37 :

        En effet, adopter l’attitude volontairement naïve de celui qui suppose que l’auteur a quelque chose à lui apprendre est la meilleure (et en fin de compte la seule) façon d’accéder à l’oeuvre et d’en comprendre la portée et le sens, même quand il s’avère finalement que l’auteur n’a peut-être pas le talent ou la profondeur qu’on avait eu la bonté de lui accorder au point de départ. Dans tous les cas, c’est toujours plus enrichissant de lire de cette façon. Cela vaut d’ailleurs non seulement en art, mais dans la vie en général... En amour, par exemple. Bien à vous. MR

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        • Répondu par H2O le 22 juillet 2013 à  14:24 :

          D`accord, Manuel Roy, donc selon vous, il faut tout essayer, absolumemt tout. Mais cela prend du temps et cela coute de l`argent, moi je prefere m`aventurer en terrain connu.

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          • Répondu par Joe le 22 juillet 2013 à  17:57 :

            Pour la question de l’argent, il existe des bibliothèques. Pour le temps, je dis pas.

            « moi je préfère m’aventurer en terrain connu. »

            Et bien figurez-vous que moi j’aime bien découvrir des choses et aller là où je ne serai pas forcément allé d’instinct. Ça laisse la possibilité de quelques belles découvertes, et aussi bien sûr de déceptions, mais je suppose que même vous, qui restez en terrain connu, êtes parfois déçu. Ça fait partie du jeu. Je suppose que c’est une question de tempérament, je suis curieux, apparemment pas vous, dommage pour vous !

            Mais vous devriez lire le livre de Chauchat : il est très beau, très sensible, très bien écrit, et plutôt original dans la production contemporaine. Ça ne vous parlera peut-être pas, mais au moins vous aurez découvert quelque chose :)

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          • Répondu par Manuel Roy le 22 juillet 2013 à  19:15 :

            On ne peut pas tout lire, on est bien d’accord. Pour ma part, je pense qu’on devrait surtout s’aventurer en territoire inconnu, parce qu’à mon avis il y a plus de plaisir à découvrir de nouvelles choses qu’à retrouver sans cesse les mêmes. Mais si d’autres préfèrent s’en tenir à ce qu’ils connaissent, pour approfondir une manière précise de faire par exemple, je n’ai rien contre. Seulement je me demande de quel droit, dans ce cas, ils se permettent cracher sur le reste. Ils ne connaissent pas et ils ne souhaitent pas faire l’effort de comprendre : alors qu’ils se taisent et qu’ils s’en tiennent à ce qui leur est familier. MR

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