À quelques jours de son agrément pour travaux de la part du gouvernement de Bruxelles-Capitale pour la construction-rénovation du bâtiment qui doit accueillir le Musée du Chat et du dessin d’humour, deux enseignants, Denis De Rudder, artiste et professeur de dessin à l’école d’art et de design de La Cambre en Belgique et Sandrine Morgante, artiste et conférencière dans le même établissement, ont écrit une lettre-pétition adressée au président de la Région Bruxelloise Rudy Vervoort pour faire part de leur « incompréhension » et de leur « inquiétude », voire leur « consternation » et leur « révolte » « face au projet du Musée du Chat qui vise essentiellement à la promotion de l’œuvre de Philippe Geluck et dont la presse s’est fait l’écho ces derniers jours. »
Lancée le 25 avril dernier, la pétition a recueilli à ce jour un peu moins de 5000 signatures, ce qui n’est pas gras face à l’incroyable notoriété de l’exposition des sculptures du Chat sur les Champs-Élysées à Paris qui a rassemblé 1,5 millions de visiteurs depuis mars, avant d’autres prévues en province dans les prochains mois. Le projet très politique de cette pétition a une cible : le permis de construire d’un Musée dont on sait qu’il est déjà quasiment financé par des fonds privés (grâce à des sculptures vendues 300 000 € pièce et dont 18 sur 20 ont d’ores et déjà trouvé acquéreur) qui doit prendre place dans un bâtiment public faisant l’objet d’un bail emphytéotique (un bail de longue durée) concédé à son promoteur.
« Ce n’est pas de la culture ! »
Qui sont les « lanceurs d’alerte » ? Un artiste dont le principal fait d’armes est d’avoir décoré une station de métro à Bruxelles (le métro La Roue) et une artiste-conférencière, qui a déclaré voici quelques jours à la télévision belge que « … Le Chat, ce n’est pas de la culture et il n’a pas sa place dans un musée. Un musée est un lieu qui doit conserver un patrimoine, il doit être un outil pédagogique et montrer des œuvres d’art qui ne pourraient pas être vues autrement. Comme la bande dessinée peut être vue ailleurs, elle n’a pas sa place dans un musée et ce n’est pas de l’art. »
Outre les énormités rétrogrades sur le statut de la bande dessinée comme art, sujet déjà débattu dans ces pages sur lequel nous ne reviendrons pas, nous sommes frappés par les contrevérités qu’aligne leur pétition.
Ainsi disent-ils : « Qu’il nous soit cependant permis d’affirmer que les personnages de bande dessinée sont d’abord conçus pour exister dans les journaux et les livres ». Qu’ils affirment seulement. Outre que le Chat relève davantage du dessin d’humour que de la BD, cette assertion est aussi idiote que d’affirmer que les cathédrales et les églises sont d’abord conçues pour prier. C’est pourquoi nous n’argumenterons pas plus loin.
« Produits dérivés »
L’autre reproche, déjà avancé par leurs collègues parisiens, c’est la qualification supposée infamante de « produit dérivé » [sic] : « Mis à part les planches originales, les objets exposés dans un musée tel que celui qui est en projet sont nécessairement des produits dérivés. L’exemple du Centre de la Bande Dessinée de la Rue des Sables en atteste à suffisance. »
La suffisance est de leur fait. Notons d’abord que ce n’est pas sympa pour le Centre Belge où les expositions de qualité sont nombreuses depuis plusieurs décennies. Et quoi ? Le Centre belge exposerait des produits dérivés, vulgaires comme des Citroën Picasso ? Quel culot !
Nos signataires, tout à leur fureur, opposent un projet de musée d’art moderne longtemps promis par la Ville de Bruxelles et qui ne se réalise pas faute d’argent public, à un projet privé participant à la rénovation d’un patrimoine de l’État, et déjà quasiment financé. Un schéma semblable à celui du… Centre Belge de la BD qui a sauvé naguère, en s’y établissant, un joyau architectural Art nouveau de Victor Horta que l’État avait laissé en abandon.
Un projet qui dépasse la seule œuvre de Geluck
Nos Fouquier-Tinville de l’art contemporain ignorent surtout que le projet du Musée du Chat n’est pas seulement dédié à l’œuvre de Philippe Geluck. Il s’intéresse aux deux thématiques qui caractérisent son travail : le chat d’abord, dont la présence dans l’art à travers les siècles est un sujet particulièrement riche et pertinent quand on s’intéresse à l’histoire des représentations ; le dessin d’humour ensuite qui – des amphores grecques à Daumier, du Charivari à Charlie Hebdo- a joué un rôle déterminant dans nos cultures.
La pétition conclut -il fallait bien ce dernier argument- sur l’aberration urbanistique du projet, l’architecte Hebbelinck s’employant d’abord à préserver les structures existantes. C’était son cahier des charges, afin de préserver la cohérence architecturale du quartier (le dessin représenté ci-dessus est une invention de l’auteur de la pétition) plutôt qu’un « geste architectural » qui aurait davantage constitué à « bruxelliser » la ville. [1]
Philippe Geluck a semble-t-il été chagriné par cette polémique. Dans son esprit -mais aussi dans le nôtre- un Musée du Chat, au cœur du « quartier des musées » bruxellois contribuerait encore davantage au rayonnement de la ville. Il a invité ses interlocuteurs à proposer un projet aussi bien ficelé que le sien. La presse naïve ou avide de scandale en a conclu à un renoncement.
Il n’interviendra pas : depuis que le monde est monde, les chiens aboient et le chat passe.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] En architecture, le terme de « bruxellisation » désigne le saccage architectural d’une ville laissée à la merci des promoteurs.
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