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Japan Expo 2023 [Conférence] L’influence du manga sur la création française

Par Guillaume Boutet le 16 juillet 2023                      Lien  
Le soft power japonais, et plus particulièrement le manga, déferle aujourd'hui dans le monde entier et bien évidemment en France. Quelques auteurs français autour de Ken Akamatsu, mangaka de « Love Hina », ont partagé avec le public de quelle manière le manga a influencé leur travail.

La conférence réunissait Aurore, auteure de BD publiée chez Delcourt et Soleil (notamment Pixie) ainsi que des affiches de Japan Expo depuis 2006, Shonen, auteur d’Outlaw Players, manga français actuellement publié chez Ki-oon, mais aussi au Japon, et Mathieu Reynès, auteur de la BD à inspiration manga La Théorie du K.O. (Vega – Dupuis). Ils étaient assemblés autour de Ken Akamatsu, mangaka de Love Hina et de Negima !, mais aussi activiste de longue date de la défense les droits des auteurs. En 2022 Ken Akamatsu a abandonné sa carrière de mangaka pour se faire élire en tant que sénateur pour le Parti libéral-démocrate à la Chambre des conseillers du Japon, faisant de lui le premier mangaka membre du gouvernement. Signalons aussi que Ken Akamatsu fut invité d’honneur de Japan Expo 2015.

Les auteurs se sont prêtés au jeu des questions afin de partager leur découverte du manga et de quelle façon ils ont été influencé dans leur jeunesse par cette lecture qui ne ressemblait à rien de ce qu’ils connaissaient à l’époque.

Japan Expo 2023 [Conférence] L'influence du manga sur la création française
Photo : Guillaume Boutet

Comme ceux de sa génération, Aurore a découvert le manga au début des années 1990 avec les premières publications que furent Dragon Ball, Akira ou encore Video Girl Ai. En 1995 elle a créée MyCity, l’un des premiers fanzines BD de style manga en France. Elle a ainsi appris à dessiner à travers le monde du fanzinat bien qu’elle s’est orientée par la suite sur la BD franco-belge de « 46 pages ». Cependant, en dehors de ses activités web, elle a publié en 2014 Harfang, un récit de 128 pages dans un format presque manga.

Si le Japon l’a fait rêver comme les autres auteurs présents, elle eut une grande déception lorsqu’elle visita Tokyo et découvrit que l’immense enseigne rouge « My City », visible à la sortie de la gare de Shinjuku et popularisée par City Hunter, était devenue « Lumine Est » ! Ce fut également l’occasion d’évoquer l’urbanisme japonais, très différent de celui de France, qui peut être une source d’inspiration... même si Aurore étant spécialisée en Fantasy elle n’a pas l’occasion de travailler sur ce genre de modèle. D’ailleurs elle avoua ne pas lire de manga prenant place des univers contemporains et sur ces ambiances, elle s’est arrêtée aux mangas de Mitsuru Adachi.

Concernant les messages-types des mangas, elle a très marqué par Saint Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque), certes par le dépassement de soi, mais au bout du compte davantage par son univers de mythologie grecque. Et c’est après avoir lu Bakuman., un manga sur le travail des mangakas, qu’elle décida de sauter le pas et de réaliser son propre manga.

Harfang par Aurore

Shonen fut sans doute l’auteur le plus ému lors de cette rencontre et manqua parfois de mots pour s’exprimer. Lorsqu’il lui fut demandé quel était son manga préféré, il répondit Love Hina. Il ne cachait donc ni sa joie ni son émotion de rencontrer Ken Akamatsu dont il admirait le travail. Concernant son appropriation des codes du manga, il avoua tout faire à l’instinct : il a tout appris sur le tas en réalisant des mangas amateurs et fut repéré par un éditeur à Japan Expo en 2006. Comme pour beaucoup, la lecture de mangas lui a donné envie de découvrir le Japon, et plus particulièrement celle des œuvres d’Oh ! Great grâce à ses décors saisissant de réalisme.

De façon générale, Shonen expliqua n’avoir jamais beaucoup réfléchi aux codes et aux messages des mangas : c’est par son immersion à l’adolescence dans ces histoires qui le passionnait qu’il en fut imprégné. Ce fut donc tout naturel pour lui de faire du manga et plus tard il eut la chance d’être repéré par un éditeur.

Outlaw Players par Shonen

Mathieu Reynès quant à lui proposait un profil un peu différent. Bien qu’il ait découvert lui-aussi les mangas dans sa jeunesse à leur arrivée en France, avec Dragon Ball ou Gunnm, il a d’abord œuvré dans le franco-belge, avant d’explorer plus en avant les format hybrides, comics dans un premier temps et désormais manga. Cependant son approche est différente de ses collègues : il n’y a pas de volonté de « faire du manga », mais d’utiliser le format manga. De ce fait il explore les moyens narratifs à se disposition pour raconter une histoire et, forcément, il retombe en partie sur des codes connus et classiques. Il s’agit donc ici de la poursuite de projets de BD hybrides au sens le plus large du terme.

Sur l’inspiration qui pourrait venir du Japon lui-même, Mathieu Reynès s’étant spécialisé dans le post-apocalypse, le contemporain ne l’intéresse pas en soi, mais la dualité nippone entre l’ultra-urbain et une nature très sauvage et campagnard a toujours attisé sa curiosité. Et de façon plus explicite, il cite volontiers les œuvres d’Hayao Miyazaki, même si nous sortons là du strict registre du manga (quoique...).

Mathieu Reynès avoua également être moins sensible aux thèmes adolescents, comme le dépassement de soi, et s’intéresse davantage aux mangas traitant des relations intergénérationnelles et de la dualité ville et campagne. Mais il reconnaît la vaste étendue de thèmes des publications mangas, parfois jusqu’aux plus incongrus. Il pense également que l’offre manga est beaucoup moins clichée que par le passé et propose aujourd’hui un immense pan d’une grande richesse et maturité, moins centré sur les figures classiques et traditionnelles.

La Théorie du K.O. par Mathieu Reynès

Tous ces échanges s’articulaient autour de Ken Akamatsu qui représentait donc le soft power manga. Il commença par expliquer qu’il avait d’abord ressenti cette influence à l’étranger par la réappropriation des codes comiques, comme la goutte de sueur, mais que les auteurs japonais ont aussi été influencés par l’Europe, comme Hayao Miyazaki avec Paul Grimaud. Il s’agit donc d’influences mutuelles qui se répondent et c’est une belle chose.

Il a ensuite insisté sur le fait de protéger la culture manga telle qu’elle existe car c’est à la fois un élément du patrimoine et une force de rayonnement à l’étranger pour la Japon. Aujourd’hui les Japonais en sont très fiers mais il y a encore 30 ans, beaucoup pensaient que les mangas étaient débiles. Le changement plus important c’est opéré au niveau du personnel politique avec une génération qui a grandi en lisant le Shônen Jump, ce qui change beaucoup de choses.

Sur un plan plus personnel et toujours sur l’influence du manga, lorsque Ken Akamatsu a débuté sa carrière de mangaka, il ne pensait qu’à réaliser ses fantasmes : comme il avait peu de succès avec les femmes, il a donc dessiné un manga sur un héros entouré de jeunes femmes. Il n’avait pas conscience de créer un genre car il avait juste importé un type d’histoires populaire en jeux vidéo qui était encore inexistante en manga.

Et c’est lorsqu’on lui demanda de prolonger Love Hina, au-delà du point qu’il avait prévu, qu’il prit conscience qu’il avait un lectorat qui attendait des choses de lui et qu’il avait donc des responsabilités. Aujourd’hui, le plus surprenant à ses yeux reste de rencontrer régulièrement de jeunes mangakas qui lui expliquent qu’il a été leur source d’inspiration.

Love Hina par Ken Akamatsu

Une partie de son travail consiste désormais à aider au rayonnement du manga au niveau international. C’est ainsi qu’au dernier G7 il a dessiné des portraits des dirigeants présents et les leur a offerts. De plus, il lui semble important que les mangas soient toujours plus créatifs pour maintenir l’aura qu’ils ont aujourd’hui.

Enfin, la conférence se termina sur une question plus personnelle à Ken Akamatsu : qu’est-ce qu’il a préféré dans sa carrière de mangaka ? Il répondit deux choses : les moments où il était absorbé dans ses dessins, avec comme seule compagnie sa musique, et le plaisir d’être attendu par ses lecteurs à chaque sortie de chapitre ou de volume.

Une conclusion simple mais venant du cœur, à l’image cette conférence placée sous le signe des échanges.

(par Guillaume Boutet)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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