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Yoann Vornière (alias Yo-one), auteur du manga français "Silence" : « je me suis dit : allons piocher dans le folklore français ! » [INTERVIEW]

Par Malgorzata Natanek Gabriel FRANCE le 3 août 2023                      Lien  
C’est en octobre prochain que doit paraître le tome 1 de "Silence" aux éditions Kana. Prévue en quatre tomes, cette série de Yoann Vornière (alias Yo-one), nous plonge dans un monde où les humains sont chassés par des monstres devenus omniprésents depuis la disparition du soleil. Le seul moyen de les éviter est de vivre caché et en silence, car ils sont attirés par le bruit. C’est dans ce contexte que le lecteur va suivre les traces de Lame et de son village qui tentent de survivre à l’abri des monstres. Découvrez dans cette interview réalisée lors de Japan Expo 2023, les coulisses de ce projet.
Yoann Vornière (alias Yo-one), auteur du manga français "Silence" : « je me suis dit : allons piocher dans le folklore français ! » [INTERVIEW]
Silence Tome 1
©Yoann Vornière / Kana

Tout a commencé par un one shot pour le concours Tezuka. Pouvez-vous revenir sur cette expérience ?

Yo-one : Il y avait dans mes anciens projets celui de faire une BD muette (d’où l’idée des monstres qui attaquent au moindre bruit). Ainsi, j’ai retravaillé ce projet pour le one shot dans lequel il n’y avait pas encore de folklore français (c’étaient des monstres lambda parce que j’aimais bien les dessiner). Ce one shot, je l’ai préparé à l’occasion des 100 ans du concours Tezuka, mais je n’ai pas gagné. Toutefois, j’ai eu le retour de plein de personnes dont Jero (Ripper) qui me disaient que je tenais quelque chose. Je voyais également que mon entourage semblait intéressé par ce projet.

Ayant eu une mauvaise expérience avec le manga (mes trois derniers tomes n’étaient finalement pas sortis), je me suis dit que j’allais tenter une dernière fois et que si ça ne marchait pas, je reviendrais à la BD. J’ai travaillé quatre mois sur le dossier en intégrant le folklore français et il y a eu des éditeurs intéressés, dont Kana.

Après avoir lu le one shot pour le concours Tezuka et le tome 1 de Silence, on peut voir que les scènes sont plus violentes et l’univers plus noir dans votre titre à paraître. C’était votre volonté ou une décision prise avec l’éditeur ?

En général quand je bosse sur un projet, j’essaie d’avoir un style différent à chaque fois. Par exemple, dans la première BD que j’ai sortie en indé, les personnages étaient un peu dans le style cartoon. Après j’ai fait Jill & Sherlock chez Ankama, une BD jeunesse d’aventure avec un dessin beaucoup plus rond. Pour le concours Tezuka, je travaillais sur un manga qui était un peu dans l’univers Shūzō Oshimi ou Inio Asano.

Cependant quand j’ai voulu passer au shônen, il y avait des choses que je ne maîtrisais pas, donc c’était un peu maladroit. Dans Silence, j’ai réussi à faire ce que j’avais envie de faire dans le one shot mais que je n’avais pas pu mettre en place. Concernant ce dernier, le dessin était beaucoup plus léger (plein d’histoires sont comme ça) alors que ce n’est pas là-dessus que je me sens le plus compétent, on va dire. Je suis plus à l’aise sur des ambiances horrifiques. C’est pourquoi, je me suis dirigé un peu plus là-dessus, tout en essayant de garder un public large, car dans le manga français, il faut réussir à attirer les lecteurs. Malheureusement, si on est trop pointu, les personnes n’adhèrent pas, alors que nous, on a envie que la série dure.

Le ciel dans Silence rappelle le tableau de Vincent van Gogh La Nuit étoilée. Est-ce voulu ?

Derrière ce ciel, il y a toute une histoire. Quelques années auparavant, j’avais fait un autre one shot qui était inspiré d’un épisode de Doctor Who dans lequel apparaissait Van Gogh, et c’était magique. J’avais dessiné pour ce manga un ciel qui bougeait dans ce style. Plus tard, j’ai lu Happiness de Shūzō Oshimi dans lequel il utilisait un peu ce procédé de tourbillon dans les airs et j’ai repris cette idée. Donc il y a eu plusieurs étapes mais oui à la base c’est Van Gogh.

Planche Silence
©Yoann Vornière / Kana

Shigeru Mizuki (Kitaro le repoussant) a été une source d’inspiration pour Silence. On en parle ?

Je n’ai pas lu énormément d’œuvres de Shigeru Mizuki, mais ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est sa manière de ramener le folklore japonais à un moment où il semblait disparaître. À cette époque, la population était concentrée sur le travail, et tout ce qui était yokai ne l’intéressait plus vraiment. Grâce à ses mangas, il a réussi à aller repiocher là-dedans et les enfants s’y sont réintéressés. Maintenant, on ne peut pas imaginer le Japon sans ce folklore, et ça m’a beaucoup touché. Le travail qu’il a fourni est impressionnant.

D’ailleurs, quand je suis allé au Japon, j’ai visité la ville de Gifu dans laquelle il est décédé. On y trouve plein de choses autour de Shigeru Mizuki comme un mini-musée et un restaurant. C’était très sympa.

Silence planche tome 1
©Yoann Vornière / Kana

Il y a donc une volonté de ramener le folklore français au goût du jour dans Silence  ?

Oui, je pense que ça peut être intéressant en espérant que les lecteurs accrochent. Comme en France il y a de nombreuses créatures très iconiques (la Bête du Gévaudan ou Tarasque), je ne voulais pas que ce soient les premières créatures qui apparaissent et donc je les ai distillés dans le titre. C’est pour ça que dans le tome 1 j’ai mis des créatures qui sont très connues, comme la souris verte, et d’autres un peu moins comme les fantômes qui chantent ou encore le sanglier en feu. D’ailleurs ce dernier n’a pas vraiment de nom, il est inspiré d’une légende dans laquelle il est dit que lorsqu’un sanglier est mort on ne peut pas toucher ses défenses, car elles sont encore chaudes.

Donc l’idée est d’avoir beaucoup de choses autour de la culture française, car la France est un pays qui aime regarder ce qui se fait à l’extérieur sans se pencher sur sa propre culture. Certains ont ce discours dans lequel ils disent que le folklore français est nul comparé à celui d’autres pays comme celui du Japon. Du coup, je me suis dit : allons piocher dans le folklore français, parce qu’il y a plein de choses que moi-même je ne connais pas et que je découvre encore tous les jours. Ce serait bien que d’autres puissent le découvrir, même si ce n’est pas une encyclopédie des créatures françaises. Et si jamais Silence s’exporte, d’autres pays pourront le découvrir à travers cette œuvre plutôt que seulement dans des livres sur le folklore.

Quelles sont vos autres références et inspirations ?

Parmi elles je peux citer Daisuke Igarashi qui est notamment l’auteur des mangas Les Enfants de la Mer et Designs, une claque incroyable !
Ce qui est agréable dans son travail, c’est que c’est très poétique, avec une ambiance dont tu ne peux pas te dégager.

Il y a aussi le mangaka Shūzō Oshimi qui publie Les Liens du sang, l’œuvre que je préfère lire en ce moment.

Dès qu’il y a un tome qui sort, j’arrête tout pour aller l’acheter en librairie et à chaque fois, c’est un plaisir. Je lis tout ce qu’il a fait et qui est sorti en France car je trouve que c’est un auteur fabuleux.

Je voulais faire un projet avec des monstres car j’aime en dessiner et à l’époque je trouvais vraiment pénible de mettre les textes dans les bulles, d’où l’idée de faire une BD muette. J’avais notamment apprécié Gon de Masashi Tanaka en titre muet ou encore le dernier chapitre de Slam Dunk dépourvu de textes, mais qui est excellent. Du coup, j’ai voulu me prêter à cet exercice qui est à la fois compliqué et amusant.

Pour cela, il fallait quelque chose de logique pour expliquer qu’il n’y a pas de bulles, d’où l’idée des monstres qui attaquent le bruit. En fait, je n’aime pas les histoires dans lesquelles les personnages s’expriment mais où il n’y a pas de bulles écrites.
Puis en retravaillant le projet, je me suis dit qu’ils ne pouvaient pas parler mais comme ils sont dans un village, il faut qu’ils échangent autrement. Communiquer par écrit aurait été compliqué à faire dans une BD, notamment en termes de dramaturgie. C’est là que j’ai pensé à la langue des signes qui a été ajoutée au projet d’origine.

Au centre de votre intrigue, on retrouve donc ce langage alors même que vous le pratiquez pas. Quelles recherches ont été nécessaires ?

Dans le one shot, je faisais des signes que j’inventais et qui ne ressemblaient à rien. Comme il y avait beaucoup de signes par bulles, les personnages étaient tout le temps en train de gesticuler, ce qui est embêtant pour la mise en scène, l’émotion passait moins. Pour Silence, ce dont j’avais envie, c’est que si le titre s’exporte, il s’agisse de la vraie pratique française de la langue des signes, de faire découvrir un peu cette langue.

Silence planche tome 1
©Yoann Vornière / Kana

Cependant comme je ne la maîtrise pas, j’ai donc utilisé le dictionnaire en ligne Elix dans lequel, pour chaque mot, une personne signe dans une vidéo. Dès que j’ai une bulle où un personnage parle en lange des signes, je reprends le mot qui est le plus fort ou le plus marquant et je cherche le signe qui correspond sur Elix même s’il arrive que le signe ne soit pas disponible (sûrement car c’est compliqué de faire une vidéo pour tous les mots). Et parfois en trouvant le bon signe pour le bon mot, il arrive que graphiquement ça ne fonctionne pas, donc il faut trouver un autre signe.

Je regarde également des vidéos de youtubeurs qui sont autour de la langue des signes pour me renseigner. Je procède de cette façon, mais comme je ne maîtrise pas cette langue, j’espère qu’il n’y aura pas d’impairs et que les lecteurs qui la connaissent ne trouveront pas ça bizarre.

On ressent que dans votre travail que les “histoires” transmises oralement sont très importantes...

J’avais lu que notre espèce avait réussi à se développer en tant que société grâce aux histoires qui permettent de créer des groupes et des liens. La BD c’est une histoire que l’on transmet à un lecteur. Ce que j’aime dans le fait de raconter des histoires ; c’est de pouvoir y mettre ce que l’on veut. C’est un champ de possibles infini autour duquel on peut raconter plein de choses, notamment sur la transmission.

Dans Silence, la situation est désespérée à certains moments, c’est pourquoi les adultes qui le savent vont raconter une histoire différente aux enfants. Par exemple, pendant la scène du départ de l’église, les enfants le vivent d’une autre façon car l’histoire qu’ils se racontent est différente, rendant magique la manière de la dessiner.

Dans le tome 1, il y a l’idée de changer un peu de style graphique en fonction de qui raconte l’histoire car chacun va avoir son point de vue et sa manière de le faire, ce qui est intéressant à traiter. Par exemple quand Lame raconte sa rencontre avec Lune : il la décrit avec plein de clochettes (ce qui n’est pas vraiment le cas) ce qui crée quelque chose autour de ce personnage et les enfants s’endorment heureux. C’est quelque chose de subtil qui n’est pas le centre du manga.

Silence planche tome 1
©Yoann Vornière / Kana

D’où est inspiré le style vestimentaire des personnages ?

Au tout début, le premier personnage qui a été créé c’est Lune. Sa tenue a été inspirée par un photographe qui fait le tour du monde pour voir des tenues autochtones et traditionnelles. Parmi elles, il y avait des costumes du nord que je trouvais très chouettes visuellement et j’ai gardé cette idée. Et puis, autour du personnage de Lune, j’ai décliné le style pour Lame. En revanche, les vêtements des autres personnages sont issus de tenues traditionnelles françaises que j’ai personnalisées.

Vous aviez envoyé des dossiers à des éditeurs pour d’autres projets qui n’ont pas abouti avant celui-ci. Comment fait-on pour ne pas te décourager ? Quel conseil donner à des jeunes auteurs qui sont confrontés à des retours négatifs ?

Ce que je faisais c’est que lorsque j’avais un dossier avec un projet, je l’envoyais à tous les éditeurs et si j’avais des refus, je passais à un autre projet et je n’essayais pas de le retravailler. C’est frustrant, mais c’est un travail à faire. Je vois beaucoup de jeunes auteurs qui s’entêtent et qui passent quelques années sur le même projet enchaînant refus sur refus pour ce dernier. C’est quelque chose de compliqué car ils n’ont pas de nouveauté, mais une mise à jour. Si tu penses que ton projet est bon mais qu’en face de toi, on te dit qu’on ne peut pas le signer, il ne va pas sortir à moins que tu fasses de l’auto-édition et, s’il ne sort pas, tu ne peux pas gagner ta vie avec donc il faut proposer autre chose. Mais il y a une différence entre le refus net et le retour dans lequel l’éditeur dit qu’il y a des choses à revoir. Dans le dernier cas, ça peut valoir le coup de le retravailler même s’il ne faut pas croire que c’est déjà gagné, car rien n’est signé. C’est un risque à prendre aussi car cela ne signifie pas que tu seras signé.

Pour ma part, je m’étais dit depuis tout petit que je voulais être auteur et j’avais cette idée fixe que je ne pouvais faire que ça. À partir du moment où je l’avais en tête, il fallait que ça réussisse, car je ne me voyais pas faire autre chose.

Mon conseil donc pour les personnes qui veulent être auteurs, c’est de créer différents projets et pas forcément pour la même cible. Il y a des périodes pendant lesquelles les éditeurs ont leurs titres pour une certaine cible, ce qui empêche le vôtre de passer, d’où l’idée d’essayer d’autres choses.

Jill & Sherlock couverture
© Jim Bishop/ Yoann Vornière / Ankama

On constate aujourd’hui le grand succès de Jim Bishop. Reviendrez-vous à une collaboration avec lui ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Je ne sais pas ce que je lui ai apporté, mais lui il m’a quasiment tout apporté. On a fait ensemble cette première BD Jill & Sherlock qui nous a fait passer professionnels. Toutefois, cela faisait des années qu’il avait monté sa propre maison d’édition pour faire ses tomes et donc il avait une expérience plus importante que la mienne. En fait, j’aime beaucoup cette BD car c’était ma première, et je l’ai faite avec un ami avec qui je me suis amusé à la faire.

D’abord, on débriefait ensemble pour l‘histoire qu’il écrivait, et il me proposait un storyboard à partir duquel je faisais les planches. C’était très reposant car je n’avais pas à penser au découpage et à la mise en scène. D’ailleurs après cette BD, j’ai eu du mal à me remettre à faire des compositions, car il faisait tout. C’était une superbe expérience pour laquelle, il est dommage qu’il n’y ait pas eu de suite car on avait déjà des idées. Aujourd’hui, quand je regarde les BD qu’il fait, je suis très content pour lui. C’est vraiment bien d’avoir commencé ensemble.

(par Malgorzata Natanek)

(par Gabriel FRANCE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782505117087

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