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Jean-Luc Cornette : "Nos autorités morcellent notre identité mais, à l’étranger, on dit quand même que l’on est belge."

Par Christian MISSIA DIO le 29 juillet 2013                      Lien  
Et si la Belgique n'avait pas survécu à ses querelles communautaires, que seraient devenus Flamands et Wallons ? Jean-Luc Cornette et Michel Constant tentent de répondre à la première partie de cette question en nous proposant le Sourire de Mao, un one-shot dans lequel ils nous dépeignent une Wallonie devenue une république en proie au totalitarisme...

Publiée en juin, cette fiction a pris une saveur particulière grâce à la récente actualité royale de la Belgique. Le royalisme et le patriotisme affichés par la population et la plupart des partis politiques lors de la fête nationale le 21 juillet dernier seront particulièrement mis à l’épreuve l’année prochaine, au moment des élections régionales.

En attendant cette échéance de tous les dangers (politiques), intéressons-nous plutôt à la genèse de cette BD avec son scénariste Jean-Luc Cornette, à l’occasion de l’exposition temporaire qui lui est consacrée au Centre Belge de la BD.

Jean-Luc Cornette : "Nos autorités morcellent notre identité mais, à l'étranger, on dit quand même que l'on est belge."
Le Sourire de Mao
Constant & Cornette (c) Futuropolis

Comment définiriez vous le Sourire de Mao ? C’est une uchronie ?

Peut-être pas une uchronie parce que ma définition de l’uchronie, c’est une modification du passé qui affecte l’époque actuelle. Ce n’est pas le cas dans Le Sourire de Mao. On ne modifie pas le passé : on présente un futur qui a comme background la crise politique récente de la Belgique. Je dirais que mon scénario tient plus d’une politique-fiction que d’une uchronie.

Dans ce one-shot, vous ne révélez rien de ce que deviennent Bruxelles et la Flandre. Quant à l’Union Européenne, celle-ci est complètement passée à la trappe.

Je n’en dis rien parce que je ne sais pas moi-même ce qu’ils deviennent. Ce que j’aime lorsque j’écris une histoire, c’est de laisser volontairement des zones d’ombres afin que l’imagination du lecteur puisse combler les vides. Comment s’est déroulée la scission de la Belgique ? Que devient Bruxelles ? Je ne dis rien à propos de cela. Chaque lecteur imaginera ce qu’il veut. Je trouve cette idée très plaisante et je prends un malin plaisir à travailler de la sorte.

Rien n’est dit non plus sur le sort de la famille royale...

Je pense que parmi les choses qui maintiennent la Belgique unie, il y a la famille royale et le rôle de Bruxelles au sein de l’Union Européenne. Ce ne serait pas si simple de scinder ce pays, mais si cela devait quand même arriver, je suis presque convaincu qu’il n’y aurait plus de famille royale. Toutefois, dans mon histoire, je n’aborde pas la question de la monarchie belge. Mais je suis certain que nous passerions alors à une république, que ce soit en Flandre ou en Wallonie.

Quelques planches du Sourire de Mao
Constant & Cornette (c) Futuropolis

Après l’indépendance de la Wallonie, on constate que les autoroutes sont très mal entretenues.

À travers ce gag, je voulais porter l’attention sur l’état actuel des routes wallonnes. À chaque fois que je prends ces routes, il n’est pas rare que je croise cinq ou six chantiers. Néanmoins, je viens récemment de changer d’avis car, en parcourant les autoroutes françaises et allemandes, je me suis rendu compte que l’état des routes était similaire aux routes dans le Sud de notre pays. Pour en revenir au Sourire de Mao, je voulais montrer à travers cette pique que cette question-là ne serait probablement pas résolue avec l’indépendance des Régions belges.

Comment vous est venue l’idée de ce scénario ?

Je ne sais pas trop. Vous savez, la conception d’un scénario, c’est comme un puzzle. On crée des éléments que l’on assemble. Vous concevez les personnages qui prennent vie tous seuls une fois que leur personnalité est bien établie. Au point qu’à un moment, il suffit juste de les suivre dans leurs actions.

Le Sourire de Mao raconte la dérive d’un état vers le totalitarisme. Je pense que chaque état possède en lui les gènes de la dictature et la Wallonie de ma fiction ressemble un peu à l’ex-Allemagne de l’Est. Actuellement, j’étudie beaucoup les parcours politiques des pays d’Asie du Sud-Est qui sont devenus communistes durant les années 1950-60. Je me suis rendu compte que la délation était une chose commune, un peu comme chez nous durant la Seconde Guerre mondiale ou aux États-Unis pendant le maccarthysme.

Est-ce pour cela que vous avez baptisé cette histoire Le Sourire de Mao ?

Mao Zedong, c’est une allusion à l’absurdité de certaines dépenses de l’État. D’ailleurs, c’est une blague à double sens car d’un côté, ma Wallonie de fiction dépense une fortune pour acheter un cadavre et, de l’autre côté, je montre que la Chine n’en est plus à un détail près pour faire de l’argent. Ce pays est devenu complètement capitaliste, au point qu’il vend même l’un de ses plus précieux symboles !

Dans la BD du Tueur, le personnage principal fait allusion à l’usage prononcé de l’adjectif "démocratique" dans les dictatures. Et vous, vous nommez la Wallonie, la République Démocratique de Wallonie.

Je ne savais pas que Matz avait dit cela dans sa BD, mais je pense pareil : tous les pays qui ont le mot "démocratique" dans leur intitulé sont en fait des dictatures, ou alors ils n’en sont pas loin ! Je pense évidemment à la République Démocratique du Congo, mais aussi à la RDA (la République Démocratique Allemande), aussi appelée l’Allemagne de l’Est. Je pense aussi aux "républiques populaires" comme la Chine.

Comment s’organise une séance de travail avec Jean-Luc Cornette ? Vous dessiniez, avant il me semble...

Il est vrai que je sais dessiner, mais cela fait bien quatre ou cinq ans que je ne l’ai plus fait, à part une page à droite ou à gauche pour un collectif. Mais j’ai un problème personnel avec mon dessin... Je préfère faire confiance au dessin des autres.

Mes scénarios naissent de longues discussions avec mes dessinateurs. C’est important car comme chacun sait : un illustrateur passe entre huit mois et un an et demi sur un album, il faut donc que le sujet lui parle.

J’écris tout : non seulement l’histoire et les dialogues, mais je aussi l’action case par case. C’est très détaillé. Le fait d’être un ancien dessinateur me permet d’aller très loin dans ma mise en scène, d’autant plus que j’ai surtout une mémoire visuelle. Mais je laisse tout de même au dessinateur une bonne marge de manœuvre, au point que lorsque je reçois les planches, la mise en scène est souvent différente de celle que j’avais imaginée. Je suis souvent surpris, étonné mais très rarement déçu des changements opérés ! J’ai la chance de travailler avec des auteurs qui sont des grands professionnels et nous arrivons à bien nous comprendre.

Pour en revenir à l’histoire des dépenses, il y a eu récemment une petite polémique sur le nouveau logo de la Wallonie car les sommes dépensées étaient importantes, plusieurs centaines de milliers d’euros pour l’étude qui a servi à faire le logo. Qu’en pensez-vous ?

Oui, j’ai vu cette polémique à la télévision. Bien sûr, je trouve qu’il y a quelque chose d’indécent à dépenser 537 000 euros pour l’étude d’un logo, qui ne plaira pas à tout le monde. Mais d’un autre côté, je suis bien content pour les graphistes qui ont planché là-dessus car ils font un métier difficile qui n’est pas toujours très bien rémunéré.

Constant & Cornette
Photo : Futuropolis

Au-delà de cette polémique, cela démontre qu’en Belgique, les Régions prennent petit à petit plus de poids que l’État fédéral, et ce n’est pas la nouvelle réforme de l’État belge qui me fera croire le contraire. J’ai eu l’occasion de travailler pour Wallonie-Bruxelles International [1] dans de nombreux pays comme le Vietnam, la Tunisie ou encore la République Tchèque. Ce qui est drôle, c’est quand on s’adresse aux autorités locales, on est obligé de dire que l’on est belge car pour eux la FWB ça ne veut rien dire. On morcelle nos identités pour les réduire à des identités régionales mais à l’étranger, on dit quand même que l’on est belge (rires).

Quels sont vos prochains projets ?

J’ai travaillé sur le nouvel album de Jhen, la série de Jacques Martin. La sortie est prévue pour le mois de novembre. L’album, intitulé "Draculea", est cosigné par Jerry Frissen au scénario et par moi même. Les dessins sont de Jean Pleyers. J’ai aussi un gros livre qui sortira chez Delcourt, consacré à Frida Khalo, l’artiste mexicaine. On s’intéresse en particulier aux quatre années durant lesquels elle a côtoyé Léon Trotski, et c’est dessiné par Flore Balthazar. On s’intéressera dans cette histoire aux interactions entre les personnages, jusqu’à l’assassinat de Trotski à Mexico. C’est aussi la période ou Frida Khalo prend son envol en tant que peintre. C’est l’éclosion d’une grande artiste.

Voir en ligne : Le site du Centre Belge de la BD

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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À voir aussi au CBBD, l’exposition consacré au Sourire de Mao, dans la Gallery.
Du 18/06/13 au 08/09/13

Centre Belge de la Bande Dessinée - Musée Bruxelles
Rue des Sables 20
1000 Bruxelles
Tél. : + 32 (0)2 219 19 80
Fax : + 32 (0)2 219 23 76
visit@cbbd.be

Ouvert tous les jours (sauf lundi) de 10 à 18 heures.

[1Le WBI est chargé de la préparation des relations internationales dans les matières relevant des compétences de la Communauté française et gère, avec le Ministère de la Communauté française, certains services décentralisés du Ministère actifs en matière culturelle au plan international. Source : FWB.

 
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