Dionnet est déjà en soi un personnage.
Le fondateur de Métal Hurlant et des Humanoïdes Associés tutoie depuis longtemps les grands du monde de la culture. Souvent, sa conversation est ponctuée de "Comme me le disait Steven Spielberg hier..." ou "J’en parlais encore tout à l’heure avec Guillermo Del Toro "... On le prendrait pour un mytho si l’on ne connaissait pas sa carrière : il est l’un des éditeurs français les plus importants des années 1980, la production de Métal Hurlant influençant les États-Unis comme le Japon, présentateur puis producteur de télévision, enfin producteur de films.
Quand nous le rencontrons en conférence de presse pour le lancement de sa série chez Dargaud, il nous parle des réalisateurs Alain Resnais et Frederico Fellini qu’’il a bien connus et de leur passion pour la bande dessinée. L’un et l’autre étaient membres, comme Dionnet, des premiers clubs de bande dessinée à la fin des années 1960 : "Fellini, en parlant d’un Fumetti per adulti qui s’appelle Zora [1] me disait : Ah !, il y a une grosse baisse de qualité en ce moment !" Et Dionnet de commenter : "Il a toujours été fasciné par cet art populaire qui n’était pas le sien."
Ce n’est pas la première fois que Dionnet s’adonne au scénario de BD. Cet expert de la science-fiction avait déjà œuvré dans Pilote, où il écrit des récits complets pour Druillet, Tardi, Solé, Bilal, Poïvet... Mais c’est dans Métal qu’il se révèle avec Les Armées du Conquérant dessiné par Gal et Exterminateur 17 signé Bilal.
Ce projet-ci, il le doit aux super-héros américains : "Ils ont été pour moi une révélation extraordinaire quand j’avais 15-16 ans. J’ai eu la chance de connaître Stan Lee, Jack Kirby et tout ce beau monde. Quand Spider-Man est sorti, je leur avais envoyé une lettre et quand ils ont vu débarquer le gamin, ils ont été fair-play. Ils m’ont montré des planches des Fantastic Four quand ils en étaient au numéro 10, Spider-man quand ils étaient au deuxième épisode... Cela a été pour moi une communication très forte. Je pense que ce que les super-héros américains classiques, grâce à Jack Kirby, bien avant les dérives post-modernes brillantissimes comme Watchmen, ont ouvert la bande dessinée au graphisme. Il s’inspirait des serials, ces films qui passaient alors dans les salles : il fallait une accroche très forte, une fin qui donne envie de voir la suite et, entre-temps, beaucoup d’action. Mais Kirby, en réinventant cela dans le comic-book et en les dessinant quasi seul, a fermé la porte derrière lui : il a fermé le genre. Il y a bien sûr des variations, mais il est le seul à l’avoir porté aussi haut."
Dionnet considère que les Anglais, Alan Moore mais aussi Warren Ellis, appelés au secours par une industrie américaine à bout de souffle, ont déstructuré le super-héros : "Batman est devenu un psychopathe, Frank Miller n’avait plus qu’à se servir, Superman ne savait plus à quoi il servait, Spider-Man changeait de costume tous les trois jours, etc. Les scénarios étaient d’une noirceur systématique et appelaient à un usage presque situationniste des personnages : quel mal pourrais-je encore lui faire ? se demandaient les scénaristes d’alors. Cela marchait très bien, mais cela m’ennuyait profondément. Quand j’avais douze ans, je regardais les films avec James Stewart, je lisais Spirou mais aussi les BD de petit format en kiosque, je lisais des aventures un peu exaltantes, héritières de L’Île au Trésor... Ces comic-books s’adressant à un public adulte, comme l’ensemble de l’industrie aujourd’hui, m’apparaissaient très négatifs. J’ai voulu ici créer une BD pour ces lecteurs qui sont, je dirais, à l’âge formateur, comme le faisait Jack Kirby à ses débuts."
Cette nouvelle série, il l’entreprend comme une cosmogonie : En 1929, la Terre, préoccupée par l’arrivée du machinisme, sachant ce qu’il allait en advenir, a provoqué la naissance des dieux par sentiment de révolte. Mais ces dieux sont fantasques, ont leur propre personnalité : "Ils volent pour le plaisir, ce que les super-héros n’ont jamais fait. Et puis, pourquoi diable ces dieux s’intéresseraient-ils à nous tous les jours ? Nous n’allons pas voir les gibbons au zoo toute la journée pour leur dire : "Eh, on est cousins, qu’est-ce que je peux faire pour toi, mon gars ? Ce qui m’intéresse, ce sont les archétypes, ces choses qui nous viennent du ciel, dans ce nuage où il y a des idées, les idées collectives, où chacun peut puiser."
Ce "collectivisme" des archétypes le décomplexe par rapport à la série qu’il est en train de bâtir : il va en faire une série multi-dessinateurs graphiquement opposés pour que les personnages soient vus par chacun de façon complètement différente : Hier, c’est Theureau qui les dessinait, puis Baldazzini... Aujourd’hui c’est le Croate Danijel Žeželj qui s’y colle dans un dessin qui -si on le regarde de près- vous coupe le souffle. "Cela a un côté Rashomon", où le même récit est raconté de différents points de vue, confesse le scénariste, "nous voyons le même personnage représenté par différents dessinateurs."
Cela donne, pour le troisième album, une histoire qui rappelle l’internement des citoyens américains d’origine japonaise dans des camps pendant la Seconde Guerre mondiale, où les Américains respectent en Goering le compagnon d’armes de Manfred Von Richthoffen, le "baron rouge" de la Première Guerre mondiale. Dionnet ne manque pas de rappeler, en commentaire, que George Bush Sr, le grand-père de Dobeulyou, était un sympathisant nazi... L’ensemble de la série est ainsi ponctuée d’une relecture des grands moments de l’histoire sous le prisme de ce nouveau paradigme. Avec ce ressort, Dionnet est en train de nous créer une Continuity à l’Européenne. Nul ne sait quand elle s’achèvera...
Diable d’homme qui nous raconte la légende des Dieux !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Émule de Jacula, Zora la vampire a été créée en 1972 par Giuseppe Pederiali avec Balzano Biraghi au dessin pour les éditions Edifumetto. Ses aventures, raisonnablement érotiques, la mettent aux prises avec le comte Dracula contre lequel elle se rebelle et une autre de ses créatures, la troublante Frau Murder.
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