Russel est un cow-boy, un vrai… Mais voilà, le chemin de fer, symbole d’une civilisation en transformation, redistribue les cartes. Et le métier de vacher est condamné à disparaître. Russel accomplit donc son dernier boulot, accompagné par ceux qui, comme lui, chevauchent au rythme d’une certaine liberté en voie de disparition, mais aussi par un jeune garçon, un simplet comme on disait alors !
Ce jeune garçon est trouvé mort dans la petite ville de Sundance, une cité qui désire à tout prix la venue du chemin de fer pour devenir une « vraie ville ». Et face à la décision, de la part de tout le monde dans cette cité, de nier la certitude d’une mort qui n’a rien d’accidentel, la tragédie se met en place. Une tragédie, oui, dans laquelle tous les sentiments humains vont se conjuguer, jusqu’au dernier, jusqu’à la mort.
Pour construire son scénario, Jérôme Félix a bien évidemment puisé dans le folklore habituel de ce genre de récit. Tous les codes chers aux westerns classiques avec John Wayne ou Gary Cooper sont bien présents, mais ceux de Sergio Leone et de Clint Eastwood aussi. Cela fait de ce livre une sorte de regard décalé sur les habitudes propres au western. Décalé, oui, par la présence, déjà, de ce gamin qui meurt et qui, handicapé mental, ne ressemble nullement aux héros habituels de la littérature, de la BD, et, singulièrement, du western. Décalé aussi par l’inéluctable descente aux enfers que TOUS les protagonistes vont connaître au fil des pages !
Jérôme Félix est un superbe raconteur d’histoire. Et son scénario est véritablement ciselé, sans détails inutiles ou oubliés. Avec, aussi, un vrai sens du dialogue qui, en quelques mots, parvient à définir les différents personnages qui peuplent cette aventure aux frontières de l’enfer. Son récit est celui de plusieurs libertés qui, inéluctablement, ne peuvent cohabiter. Ce n’est pas sans raison qu’il a choisi « Sundance » comme nom de cette ville qui s’ouvre à la civilisation tout en assassinant les laissés pour compte de cette nouvelle société en devenir.
Jérôme Félix nous parle de sentiments, primaires parfois, violents souvent, humains toujours. Pour rendre palpables ces sentiments, ces émotions, il fallait le talent d’un dessinateur capable d’aller au-delà des habitudes, capable d’inventer un monde totalement plausible, à tous les niveaux. Et Paul Gastine nous livre un travail exceptionnel de dessin, certes, mais aussi et surtout de couleur et de lumière !
Le texte choisit la voie de la simplicité, comme sont simples les sentiments, rêves et désespérances, qui animent tous les (anti-)héros de cette histoire. Le dessin, lui, évite également toutes les surenchères graphiques tellement (trop…) à la mode de nos jours dès qu’il s’agit de raconter une aventure ! Le style « comics », à mon humble avis, ne devrait pas avoir autant sa place dans les narrations graphiques franco-belges. Paul Gastine ne cherche pas à éblouir, il se contente d’être metteur en scène d’un récit dans lequel il s’immerge complètement.
Il dessine à taille humaine, à taille de l’enfance même, dans les scènes où les enfants sont présents. Il y a, dès lors, des contre-plongées, bien évidemment. Mais tout le dessin de Gastine participe d’abord et avant tout au récit, à la manière de raconter une histoire, à la façon de la rendre vivante, tout simplement !
Comme dans les films de Sergio Leone, Paul Gastine s’attarde sur les regards… Et je tiens à dire, haut et fort, que bien peu de dessinateurs sont capables comme lui de rendre mille et une impressions au travers de ces regards qui rythment la narration. C’est dans les yeux de Russel que se comprennent le chagrin, l’engagement, la totale désespérance. C’est dans les yeux de l’institutrice, symbole d’une éducation essentielle pour que naisse une neuve liberté, que se voient la volonté et la tolérance mêlées.
Jusqu’au Dernier est un album époustouflant, à tous les niveaux : un scénario inattendu, d’une noirceur incontestable, un dessin qui remet bien des pendules à l’heure dans l’univers du western dessiné…
Un livre classique, oui, et novateur en même temps par le ton qui est le sien, un livre qui aura une place de choix dans votre bibliothèque !
(par Jacques Schraûwen)
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Jusqu’au Dernier - par Paul Gastine et Jérôme Félix - GrandANGLE - 70 pages - Sortie novembre 2019
Lire également une autre interview des mêmes auteurs : Jérôme Félix et Paul Gastine explorent "L’Héritage du Diable"
Photo des auteurs : Charles-Louis Detournay.
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