Kroma - Par Lorenzo De Felici - Ed. Delcourt Comics

Couleur et peur.

Dirigé par un Makavi, homme mystique détenteur de la vérité, le peuple de la cité pâle vit dans la crainte de l’extérieur. En effet, en dehors des murs d’enceinte règne la couleur et avec elle, des créatures monstrueuses avec un roi mystérieux à leur tête. Ce dernier aurait même envoyé son enfant dans les murs de la cité pour anéantir le reste de l’humanité, offrant au Makavi l’occasion de glorifier son pouvoir défensif face à la couleur en célébrant toutes les 20 lunes la capture de l’enfant du roi. Une cérémonie au centre de la ville met en scène un œuf noir gigantesque dans lequel l’enfant du roi de la couleur est retenu prisonnier. Sous les acclamations du peuple, celui-ci s’en extirpe et subit alors un lynchage collectif jusqu’à ce qu’il s’écroule d’épuisement.

Cette tradition séculaire va pourtant être remise en question par le jeune Zet qui a vu le regard de la créature maudite. Or, c’était les yeux d’une jeune fille sous un masque de monstre… et si la vérité du Makavi était trompeuse ? Si la couleur n’était pas si dangereuse ? Rongé par ses doutes, Zet tente le tout pour le tout afin de rencontrer le monstre dans sa tour pour mieux comprendre. Quelle n’est pas sa surprise, alors, de rencontrer une adolescente d’à peu près son âge, la peau aussi blanche que la sienne, de même que sa chevelure, mais avec des yeux dont l’un est vert, l’autre bleu. Kroma semble inoffensive et bien plus craintive du jeune homme que l’inverse. Car elle ne connaît que la couleur du ciel à travers les barreaux de la seule fenêtre de la tour, le goût des maigres repas qu’on lui apporte et la douleur des coups.

©Lorenzo De Felici / Delcourt Comics

Voici le point d’orgue du récit composé par Lorenzo de Felici. Après avoir dépeint une humanité survivaliste dans un monde entouré d’une couleur potentiellement mortelle, un seul être remet en question les croyances universellement admises jusque dans les gènes des habitants de la cité pâle. Une ville entourée de hauts remparts blancs, recouverte d’une sorte de drap pour empêcher le soleil de teindre les corps, ces anatomies devenues de plus en plus pâles de génération en génération, contrastées par quelques chevelures et tous les regards noirs de la population. La couleur est véritablement devenue une malédiction, apportant la mort aux nouveaux-nés qui auraient la malchance de naître avec une pointe de couleur, notamment dans les yeux. Mais qui est Kroma dans ce cas ? Est-elle vraiment la fille du roi de la couleur ? L’auteur envoie sa nouvelle héroïne dans les confins de ce monde pour découvrir la vérité et en comprendre le fonctionnement.

Quand un coloriste met en scène son outil de travail.

Autant dire que Lorenzo de Felici a réussi son pari de personnifier la couleur pour lui donner un rôle prépondérant dans son récit post-apocalyptique. Coloriste avant d’être auteur, il sait combien la couleur joue un rôle important dans une bande-dessinée. Une teinte trop froide, un contraste trop faible, un éclat de lumière mal placé... un simple détail peut changer l’interprétation d’une case. Lui est alors venu l’idée de mettre cette même couleur en avant, comme un personnage, dans ce qui deviendra, après des années de réflexion, KROMA, désormais entre les mains des lecteurs.

Cette histoire au graphisme agréable joue sur le contraste entre la couleur supposée si dangereuse et l’apathie liée au noir et blanc et rappele que finalement, la couleur, ce n’est pas la mort comme le clame le Makavi, mais bien la vie qui se lit sur les visages expressifs des personnages dessinés avec beaucoup de réalisme comme l’atteste la couverture. L’artiste jongle également avec l’absence et la présence de couleur pour faire réagir les protagonistes. La population se déchaîne en voyant Kroma et son regard bicolore ; c’est la panique quand des guerriers, en expédition dans la forêt colorée, reviennent en courant, pourchassés par des crocodiles géants prêts à les dévorer, … alors que la vie de la cité pâle est calme et monotone.

Pari réussi donc pour le premier titre en solo de Lorenzo de Felici, qui s’achève sur une fin ouverte à tous les possibles : une suite ou d’autres albums issus de l’imaginaire de l’auteur.

©Lorenzo De Felici / Delcourt Comics