Passons le mauvais procès fait à Abdellatif Kechiche pour ne pas avoir signalé que son film était l’adaptation d’une bande dessinée, nous laissons cela à l’actualité ricaneuse et cancanière. Kechiche a choisi cette BD, a imaginé en faire un film en accord avec son auteur et le moins que l’on puisse dire, il n’a sûrement pas été facile d’en boucler le budget, vu le sujet. La production aurait peut-être pu accompagner et accueillir à son juste rang celui qui est à l’origine du film et qui avait réalisé une bande dessinée, Le Bleu est une couleur chaude (Éditions Glénat) que nous n’avions pas manqué, à l’époque, de signaler à nos lecteurs., mais bon...
Arrêtons-nous plutôt sur le billet, remarquable de dignité, que Jul Maroh signe sur son blog, Les Coeurs exacerbés :
" Voilà bientôt deux semaines que je repousse ma prise de parole quant à La vie d’Adèle, écrit-il. Et pour cause, étant l’auteur du livre adapté, je traverse un processus trop immense et intense pour être décrit correctement."
Il explique sa surprise devant la répercussion d’une "ridicule histoire l’été de mes 19 ans" et qui devient un film, un débat, un sujet de société.
"Moi ce qui m’intéresse c’est la banalisation de l’homosexualité, dit-il encore.
Je n’ai pas fait un livre pour prêcher des convaincu-e-s, je n’ai pas fait un livre uniquement pour les lesbiennes."
Soucieuse d’éviter une catégorisation communautariste qui menaça un temps Marjane Satrapi ou Joann Sfar, il précise son intention de départ : "Il s’agissait également de raconter comment une rencontre se produit, comment cette histoire d’amour se construit, se déconstruit, et ce qu’il reste de l’amour éveillé ensemble, après une rupture, un deuil, une mort. C’est cela qui a intéressé Kechiche."
Si il lui a laissé la liberté de faire "son" film, il signale cependant qu’il s’y est reconnue : " Donc quoi que vous entendiez ou lisiez dans les médias (qui cherchent souvent à aller à l’essentiel et peuvent facilement occulter certaines choses) je réaffirme ici que oui, La vie d’Adèle est l’adaptation d’une bande dessinée, et il n’y a rien de mal à le dire."
En tant que lesbienne, il a été choqué par les scènes "de cul", pas tant parce qu’elles lui semblent plus correspondre à une représentation "hétéronormée" qu’à la réalité, que par la façon dont le public, dans la salle, avait de pouffer. Sans même prendre en compte la vulgarité de ces réactions, il prend ses distances avec une représentation qui appartient au réalisateur.
L’aventure reste belle cependant : "Cette nuit, s’enthousiasme Jul Maroh, j’ai réalisé que c’était la première fois dans l’histoire du cinéma qu’une bande dessinée avait inspiré un film Palme d’Or, et cette idée me laisse pétrifiée. C’est beaucoup à porter."
Devant la vulgarité du débat sur le mariage pour tous qui a eu lieu en France et qui montre les signes inquiétants d’une réaction cléricale associée à une extrême droite prête à en découdre avec la démocratie, ce message, échappant à toute récupération, touche par sa sincérité et par dignité.
Merci, Jul.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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