Le fait que Gilles Ciment, comme le dit La Charente Libre, "joue sa place" est vraiment étonnant. En effet, la plupart des observateurs lui reconnaissent un bilan plutôt positif, à commencer par ses commanditaires. On peut en effet consulter en ligne tous les bilans d’activité de la Cité depuis cinq ans, publiés avec un luxe de détails que l’on aimerait connaître de la part d’autres grands consommateurs de fonds publics s’il en est. Il en ressort qu’en cinq ans :
Les entrées du musée ont progressé de +97%
Les entrées de la bibliothèque de +28% d’entrées et les prêts de 10%
Les entrées du cinéma ont progressé de +75%
Le chiffre d’affaires de la librairie a cru de +73%
La Maison des auteurs a recueilli 50 résidents (+50%) en 2012.
En terme de médiation, +180% d’enfants ont été reçus en ateliers à la Cité
Progression de +47% des recettes propres de l’établissement
Un ancrage régional à 59%
(Bilan de 2012 disponible en PDF sur le lien suivant)
Plutôt flatteur pour un musée de province !
Luttes d’influence et échéances électorales
Le 11 juillet dernier, La Charente Libre publiait un document daté du 17 juin 2013 intitulé : "Note d’orientations pour le projet d’établissement pour la Cité Internationale de la BD pour 2014-2016". Il s’agit clairement d’une lettre de recadrage, plutôt brouillonne, concoctée par les quatre financeurs de la Cité de la BD : le Conseil Général, la Ville, l’État (au travers de la DRAC) et le Département, mais clairement pilotée par les services de Philippe Lavaud, le maire d’Angoulême et ceux d’Anne-Christine Micheu, directrice régionale des affaires culturelles.
Que dit cette lettre "comme on en fait à chaque renouvellement de mandat" nous dit Gérard Desaphy, adjoint à la culture du maire d’Angoulême et vice-président de la Cité ? Elle ambitionne de "servir de base à l’élaboration du projet artistique et culturel présenté par Gilles Ciment, directeur de la Cité [...] pour le renouvellement de son mandat à la tête de la Cité."
Nommé il y a six ans, en effet, le directeur de la Cité sollicite son troisième mandat de trois ans à la tête de cet établissement public, à la fois "Musée de France" et "pôle associé" de la Bibliothèque Nationale de France.
La note se résume principalement en deux points :
La Cité devra réserver au Festival International de la bande dessinée la place pour deux expositions qui seront maintenues tout l’hiver sur le site de la Cité avec interdiction de faire pendant cette période d’autres expositions temporaires : "Le partenariat avec le Festival de la BD sera consolidé dans une perspective pluriannuelle permettant d’intégrer des expositions du festival dans les espaces de la Cité [...]. Ces expositions remplaceront l’exposition temporaire actuellement réalisée par la Cité en hiver."
La Bibliothèque devra intégrer sa bibliothèque de prêt dans le cadre du lancement de la Médiathèque d’agglomération de la ville d’Angoulême.
La réaction ne s’est pas faite attendre. Le Conseil d’orientation de la Cité dans lequel on retrouve des éditeurs (Dupuis, Denoël Graphic), des libraires, des universitaires, des critiques, des producteurs de dessins animés, des conservateurs et même le fondateur du FIBD, Francis Groux, déclare dans une de ses résolutions suite à la manifestation de janvier : " Le conseil d’orientation estime que, en 2013, une très belle complémentarité a été trouvée entre les programmations de la Cité et du Festival. Il juge ainsi nécessaire que la Cité continue à présenter une exposition réalisée par ses soins dans les locaux du musée et pendant le Festival. Il considère que ces expositions d’hiver s’inscrivent pleinement dans les missions de la Cité : bénéficiant d’une expertise et des structures d’un musée de France, celles-ci participent largement au succès de la manifestation et à l’attractivité de l’événement."
Mais ce Conseil d’orientation n’est que consultatif, la vraie décision est dans les mains du Conseil d’Administration de l’établissement public et des politiques qui sont autour de la table et qui, pour certains d’entre eux, ont Gilles Ciment dans le collimateur.
Le premier d’entre eux est le maire d’Angoulême, Philippe Lavaud, dont le mandat va être remis en jeu lors des prochaines municipales en mars 2014. Celui-ci s’était d’abord affronté avec le FIBD, ce qui avait fait l’objet d’un bras de fer assez mémorable dans le cadre de la négociation des accords trisannuels avec le FIBD. Soutenu par le gouvernement de M. Sarkozy et son ministre de la culture Frédéric Mitterrand, 9e Art+ avait choisi l’affrontement, menaçant d’annuler le festival. Le maire avait dû rabattre ses prétentions. Depuis, soucieux de donner du rayonnement à son coûteux projet de médiathèque, le maire d’Angoulême a préféré s’allier au FIBD contre un Gilles Ciment qui tente de préserver ses prérogatives muséales, affirmant avec raison que l’établissement public dispose de toutes les compétences nécessaires pour monter des expositions de BD sans qu’il soit nécessaire, comme le fait le FIBD, de faire appel à des ressources artistiques et techniques extérieures. Car en termes d’expositions, le contribuable paie deux équipes lors du festival : une à 9e Art +, une autre au musée...
Or, si on lit bien cette lettre de cadrage, la mise à disposition au profit du FIBD d’espaces pour les expositions d’hiver reviendrait à laisser "privatiser" un musée par un événement temporaire, un peu comme si le Salon du Dessin contemporain de Paris dictait sa programmation au Louvre...
"Ce n’est pas du tout ce qui est décrit, proteste Gérard Desaphy qui dénonce "une lecture de mauvaise foi". Nous sommes dans une problématique de restriction de budget. Le président de la Cité, M. Michel Boutant, souhaite que les deux entités, la Cité et le FIBD, travaillent ensemble. Cela ne s’est pas trop mal passé l’année dernière mais cette fois, on veut aller plus loin : que l’expo dite "d’hiver" soit faite en collaboration entre le Festival et l’EPCC." Le financement, selon lui, viendrait des deux côtés. C’est précisément ce qui inquiète Gilles Ciment.
La manœuvre est assez finement menée : naguère, le Conseil Général donnait au FIBD les subsides pour organiser les expos au Musée. Devant les relations exécrables entre Franck Bondoux, le patron de 9e Art +, et Gilles Ciment, et, il faut bien le dire, devant les réserves publiquement exprimées sur la gestion de 9e Art +, le président Boutant avait trouvé plus prudent et plus logique de donner 50% de sa subvention de 250 000 euros à la Cité et 50% au FIBD, ce qui laissait partiellement la main des expos temporaires d’hiver à la Cité.
Amputé d’une de ses subventions, Bondoux avait trouvé là un sujet supplémentaire de courroux à l’encontre de Gilles Ciment qui ne perdait rien pour attendre. Dans cette opération, Philippe Lavaud venge 9e Art + sous le pieux prétexte de l’économie et de la volonté d’obliger les parties à la coproduction. La ficelle est grosse.
On comprend moins bien l’attitude de la DRAC, c’est à dire l’État (en substance le Ministère de la culture) dans cette affaire. On la verrait plutôt défendre l’institution muséale contre les manœuvres municipalistes. Et là, elle rejoint le point de vue de la Ville qui consiste à confier à une entreprise privée les prérogatives de l’établissement public. Étrange. Certains observateurs locaux y voient une manœuvre pour obliger Gilles Ciment à dégager. Dans quel but ? Mystère.
Une lettre de Ségolène Royal ?
À cela s’ajoute une composante dont la politique locale charentaise a le secret. Il se dit que Michel Boutant aurait reçu le matin même du dernier Conseil d’Administration de la Cité une lettre de Ségolène Royal soutenant la position de Philippe Lavaud.
La situation en est là. Le Conseil doit se réunir ces prochains jours ("avant la fin juillet" nous dit Gérard Desaphy) afin de décider de la reconduction ou non du mandat de Gilles Ciment.
Si le renouvellement ne se faisait pas, la situation de la BD à Angoulême serait une fois de plus dans la tempête.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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