Il ne sera pas question ici de donner raison ou tort à ces Nostradamus, ni de prendre envers et contre tous la défense d’une tendance socio-culturelle indéfinissable qui, à l’instar de toutes les autres tendances socio-culturelles, a ses bons et ses moins bons.
Ce dont il sera question ici est de l’instinct assez déplaisant des « anti-woke » qui les pousse à réagir de façon aussi épidermique qu’irrationnelle à la moindre mention du mot, et à s’emparer de toutes les tribunes disponibles pour mobiliser tout sujet en appelant de près ou de loin à des idées d’inclusion et / ou de diversité.
ActuaBD n’y a pas échappé ces derniers jours avec « le cas Jon Kent », sobrement résumé par un premier collègue et implacablement caricaturé par un second. [1]
Comme sur ActuaBD nous aimons les débats engageants, il est temps de faire retentir un autre son de cloche : oui Jon Kent sera bisexuel, so what ?
L’article à charge pose problème en ce qu’il embrasse pleinement -sans doute sans le savoir- la rhétorique de l’extrême droite française et de l’Alt-right US en matière de progrès social. À savoir rejeter en bloc toute initiative proposée sur des bases d’inclusion et de diversité, en criant à des pressions des SJW [2] et en accusant les entreprises de céder aux sirènes de la bien-pensance par calcul économique. En somme, toute potentielle sincérité dans l’acte, toute éventuelle volonté de faire évoluer un médium pour le rendre un peu plus cohérent avec la société contemporaine, est d’emblée écartée : si Jon Kent fait des bisous à un garçon, c’est marketing, c’est politique ! La thèse ne fait pas que réagir ici si l’on en croit la réaction de Libé daté d’hier qui titre : « Le coming-out bi de Superman, enfin un signal visible et sincère »
Ce dont il retourne au final, c’est du reflet de la société que les comics ou les productions culturelles en général souhaitent renvoyer. En 2021, de plus en plus de jeunes se révèlent et s’assument d’orientations sexuelles autres qu’hétéro, c’est un fait. N’est-il pas logique qu’au moins une partie des productions culturelles qui leur sont directement adressées reflètent ces évolutions ?
Fondamentalement, notre second article ne déplore peut-être pas tant l’acte en lui-même, que son traitement par l’éditeur, et sa médiatisation voire sa mise en scène sur les réseaux sociaux. Ce qui pose la question de savoir à quel moment une initiative inclusive devient acceptable aux yeux de ceux qui les dénoncent, puisque mise en scène ou pas, promotionnelle ou pas, elle semble toujours poser problème.
Se serait-on autant indigné si DC avait procédé au changement en toute discrétion et sans en parler sur les réseaux sociaux ? Si non, s’il s’en prend uniquement à la façon dont l’éditeur a communiqué sur l’annonce, que dire ? Le coming-out de Jon Kent a eu lieu... lors du Coming-Out Day, précisément une journée de sensibilisation à la question, et d’appel à la tolérance (c’est loupé). De fait, on peut difficilement imaginer un timing plus approprié, mais alors quoi ? DC aurait dû attendre pour changer l’orientation de son personnage, le faire dans le secret ? Ou alors ne pas le faire du tout ? À lire certains, on craint que c’est la seconde option qui remporte la faveur.
Ces gens militent consciemment ou non en faveur d’un immobilisme et de la préservation d’un statu-quo qui n’est de toute façon pas contesté dans 99% des productions culturelles contemporaines. En stigmatisant de manière systématique les rares initiatives d’inclusion et d’ouverture aux diversités en criant aux lobbies et aux pressions, ces « anti-woke » manifestent un refus radical de toute représentation des minorités déjà très largement invisibilisées et qui ne demandent qu’à prendre une part légitime de la scène. Et ils se montrent si bruyants dans ce genre de polémique qu’on croirait que les créateurs passent leur temps à changer les sexes, les ethnies et les orientations sexuelles de leurs personnages, ce qui est bien sûr complètement faux.
N’oublions pas que la quasi-totalité des comics, mangas, bande dessinée, films, ou produits culturels confondus qui sortent en 2021 embrassent les modèles traditionnels hétéro-normés. Et le pourcentage de proposition différentes chez les acteurs majeurs de la culture comme DC, Marvel et autres, est dérisoire. Quand on voit le genre de réaction auxquelles s’exposent ces entreprises quand elles apportent quelque chose de différent, on comprend pourquoi beaucoup préfère rester hors du débat et préserver, elles aussi, le statu-quo. Et le cas Jon Kent n’est qu’une énième démonstration du phénomène.
De plus, le second article d’ActuaBD néglige l’engagement de l’artiste australien Tom Taylor, l’un des auteurs du run, en faveur des droits LGBT et de leur représentation dans les comics. L’auteur ne sort pas de nulle part avec ces thématiques, et quiconque est un tant soit peu familier de sa bibliographie ne sera pas surpris une seule seconde de son traitement du thème.
#XMen Writer Tom Taylor Weighs In On Comicsgate : 'I Believe Comics Are for Everyone' https://t.co/4KnM1X6Osc pic.twitter.com/VyHsNn3XpZ
— Comic Book Resources (@CBR) August 30, 2018
En choisissant de considérer la décision de DC uniquement sous l’angle marketing, on décide de ne voir qu’un aspect de l’affaire qui, pour tout réel ou supposé qu’il soit, ne suffit pas à englober l’ensemble de la chose. Et d’oublier, une fois de plus, qu’à chaque annonce de ce type, les compagnies s’exposent à de puissantes critiques bien plus massives, généralisées et visibles que leurs potentiels soutiens. Le « wokisme » ne fait pas vendre, et les prises de position en faveur de l’inclusion et de la diversité sont toujours, en 2021, des risques pour les entreprises. Ce sont toujours les films, les livres, les séries, les bande dessinées hétéro-normés qui se vendent le mieux.
On ne manquera pas de rappeler enfin le cœur de toute cette histoire, le point de départ, l’essence même de toute cette polémique : le personnage de comics Jon Kent va embrasser un garçon. Était-ce bien la peine de s’énerver à ce point ?
(par Jaime Bonkowski de Passos)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
[1] Les deux articles :
Le premier article, tempéré.
Le second article, virulent.
[2] Social Justice Warrior
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