« Opération Paperclip » : c’est le nom donné par les Américains à l’opération d’exfiltration des scientifiques allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en leur promettant une immunité pour eux et leur famille. Ils cherchent deux objectifs : adjoindre les compétences scientifiques et techniques de ces hommes (pour la grande majorité), et éviter qu’ils ne tombent aux mains des Russes. Parmi ceux-ci, le responsable scientifique de la dernière grande avancée technique allemande, qui terrorisera l’Angleterre des mois durant : le V2, premier missile balistique de l’Histoire et qui permet des frappes relativement précises. De l’avis des spécialistes, si le Reich avait développé cette arme ne serait-ce qu’un an plus tôt, la face du conflit mondial en eut été bouleversée.
Wernher von Braun est un homme intelligent, calculateur et ambitieux. Un arriviste. Il ne s’embarrasse pas de contraintes humanistes ou éthiques : l’essentiel est d’arriver à ses fins. Il adhère au Parti nazi en 1937 pour avoir davantage de moyens pour ses recherches. Il rencontre plusieurs fois Hitler pour lui présenter l’avancée de ses recherches et accroître son équipe et ses moyens de production. C’est la part la plus sombre du personnage. Le Führer met à sa disposition une main d’œuvre bon marché, nombreuse et corvéable à merci : les déportés. C’est le camp de Dora, qu’il ne dirigera pas mais où il va superviser tous les aspects techniques et de production. 60 000 déportés (dont 9 000 Français [1]) vont y travailler, un peu plus de 25 000 n’en reviendront pas : pour augmenter les cadences, la violence est quotidienne, les exécutions publiques également pour dissuader toute tentative de sabotage.
Sentant le vent tourner, von Braun prendra contact avec les Américains et négociera son transfert ainsi que celui de tous les ingénieurs ayant travaillé à Dora. Aux États-Unis, ils vont d’abord travailler sur les missiles balistiques, de plus en plus puissants, avant d’être finalement associés au projet spatial, le vieux rêve de Wernher. Dont il permettra l’aboutissement.
Cette part d’ombre dans la politique scientifique américaine a longtemps été cachée. Entendu à plusieurs reprises, y compris par le Congrès, von Braun a toujours minimisé son rôle dans le fonctionnement du système concentrationnaire nazi et n’a jamais été inquiété.
L’album de Robin Walter a le grand mérite de faire un point précis et complet sur la question. Le style graphique n’est pas toujours à la hauteur de l’ambition portée par cet ouvrage et la narration, mêlant épisodes américains et flashbacks sur la période allemande, est parfois un peu confuse. Mais l’auteur, qui a précédemment réalisé un album sur le camp de concentration de Dora, fait un réel travail d’historien en croisant les sources et en présentant tous les aspects de ce personnage complexe, lui permettant d’apporter un éclairage nouveau sur un épisode historique passionnant.
(par Jérôme BLACHON)
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Von Braun. Par Robin Walter (scénario et dessin). Des ronds dans l’O. Sortie le 27 janvier 2021. 17 x 24 cm. 169 pages couleur. 22 €.
[1] Une cérémonie commémorative est organisée le 3 novembre 2021 à la Cité de l’Espace, à Toulouse, où sera remis aux descendants des déportés un dictionnaire bibliographique des 9000 déportés français. Robin Walter sera présent.