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La commission belge d’aide à la bande dessinée fait son bilan

Par Charles-Louis Detournay le 28 octobre 2009                      Lien  
C'est ce lundi 26 octobre que la commission d'aide à la bande dessinée avait réuni différents intervenants pour faire le bilan de ces deux premières années de subvention et annoncer ses intentions pour le soutien de la bande dessinée de création. Un débat ouvert et constructif, bien que les moyens semblent inversement proportionnels aux besoins...

Nous avions déjà eu l’occasion de vous présenter cette Commission de la Communauté française de Belgique, mais comme ces instances ne sont pas toujours facile à saisir, voici une petite piqure de rappel, sans doute bien nécessaire.

En 2002, un comité d’experts de la bande dessinée s’était mis en place, à la demande de la Communauté française. En effet, des efforts étaient déjà fournis pour aider les écoles de BD, ainsi que les lieux d’exposition ou de culture. Restait l’aide à la création. Fonctionnant avec un budget réduit, ce comité d’experts a donc commencé à émettre des avis au ministre en charge, jusqu’à ce qu’une Commission d’aide à la bande dessinée soit effectivement créée en 2007, reprenant globalement les préconisations du comité d’experts.

Missions et composition

La commission belge d'aide à la bande dessinée fait son bilanComme la vice-présidente, Dominique Goblet, nous l’a réexpliqué, cette commission est composée actuellement :
- de professionnels (auteurs) de bande dessinée, à savoir François Schuiten comme président, et d’elle-même.
- d’un professionnel du secteur en tant que critique de bande dessinée : le journaliste et écrivain Thierry Bellefroid
- d’experts en bande dessinée [1], soit actuellement Jean-Marie Derscheid, qui organise régulièrement des évènements BD, Denis Larue, auteur et professeur à Saint-Luc, et Frédéric Pâques, licencié en histoire de l’art, et qui prépare une thèse sur la BD.
- d’un représentant d’utilisateurs agréé, dans ce cas-ci, Tanguy Roosen, pour la SACD-SACM (organisme collecteur de droits d’auteur)
- de représentants politiques à savoir Michel Cohen, Jean-Luc Manise, Roland Rosoux, et Philippe de Pierpont, ce dernier étant également scénariste de bande dessinée.

La commission souhaite œuvrer dans différents domaines, repris ici dans un ordre de priorité :
- l’octroi de bourses à de jeunes auteurs francophones
- l’aide à l’édition d’ouvrage de BD de création
- l’aide à la traduction d’œuvres francophones
- l’aide à la réédition d’œuvres patrimoniales
- le soutien et la création de plusieurs festivals consacrés à la recherche ou la mise en valeur de la création en bande dessinée.

Jean-Marie Derscheid

On parle donc beaucoup de bande dessinée de création. « Nous désirons avant tout soutenir des scénarios et des graphismes originaux », nous explique Jean-Marie Derscheid, « Ceux qui s’écartent des voies traditionnelles et commerciales en faisant preuve d’originalité. Ce n’est pas pour autant que nous ne favorisons que les éditeurs dits ‘indépendants’ comme la Cinquième Couche, l’Employé du Moi ou Frémok, car nous voulons également favoriser la prise de risque de l’éditeur publiant un livre sortant des schémas traditionnels, comme nous l’avons fait chez l’Association pour Faire semblant, c’est mentir[(sélectionné au FIBD d’Angoulême 2008)], ou avec Delcourt pour [Fritz Haber de David Vandermeulen, qui a d’ailleurs reçu le prix de la bande dessinée historique 2008. »

Les bourses allouées sont les suivantes :

- Bourse de découverte pour les nouveaux talents (3500 €)
- Bourse résidence d’auteur de 1500 € (pour l’instant jamais octroyée).
- Bourse d’aide au développement de projets, destinée à des auteurs ayant été publiés au moins une fois, et destinée à supporter les frais du projet : documentation, déplacements, etc. (2500 à 3500 €)
- Bourse de création pour les talents confirmés permettant de dégager du temps pour l’accomplissement d’un projet spécifique (7500 €)
- La nouvelle bourse de congé sabbatique pour un auteur de notoriété, afin de proposer un projet éditorial d’envergure. (25.000 €)

« Si la valeur intrinsèque des dossiers qui nous sont soumis quatre fois par an ne peut être remise en question », intervient Bruno Merckx, secrétaire de la commission, « on peut souvent se demander comment des auteurs peuvent réellement croire qu’ils vont être acceptés avec des dossiers souvent très mal ficelés, incomplets, et j’en passe. Cela donne malheureusement une image de leur manque de motivation, et n’aide bien sûr en rien l’acceptation de leur projet. Dans le futur, nous demanderons par ailleurs que les dossiers nous soient transmis par voie électronique, pour des raisons évidentes d’économie de temps, de papier, et de gain de communication. Le site internet de la commission sera sous peu modifié en conséquence. »

Les principales raisons de refus d’un dossier sont les suivantes :
- Les soumissionnaires sont trop éloignés d’un projet de création et il y a de fortes chances que ce dossier puisse parfaitement trouver un éditeur professionnel et un public sans le secours de la Commission. Il est alors réorienté dans cette direction.
- La série est déjà commercialisée. Si elle est en perte de vitesse, ce n’est pas le rôle de la Commission de la soutenir.
- Les auteurs sont trop flous dans leur démarche : le dossier présente mal la finalité de leur travail.
- Si des compléments d’information sont demandés par la Commission, ils ne sont jamais présentés, le dossier ne peut donc aller jusqu’à son terme.
- Le dossier est (trop) mal présenté, comme l’expliquait le secrétaire ci-dessus.
- La qualité de l’écriture est insuffisante. « Il faut respecter un fil narratif », explique François Schuiten, « Cela doit rester de la bande dessinée, et certains auteurs graphistes négligent ce point important, ou demeurent dans la banalité ».
- La qualité graphique est insuffisante : erreur de proportion, ou de ressemblance avec l’objet dessiné, sans que cela puisse être lié avec le style propre de l’auteur. « Négligence ou désinvolture ? » se demande la commission

Projets soutenus

La commission soutient en 2008 le projet éditorial d’In 8.

Il serait exhaustif de faire la liste des soutiens de la Commission pendant ces deux premières années, et même auparavant. Une bonne partie d’entre eux vont effectivement vers des projets des maisons d’éditions indépendantes citées ci-dessous, et dont on peut retrouver les diverses couvertures en illustration de cet article. Plusieurs ateliers d’écriture et de rencontre sont également subventionnés, ainsi que des ouvrages collectifs dont Match de catch à Vielsalm qui a fortement impressionné la Commission : le livre met « aux prises » des auteurs confirmés qui ont confronté leurs regards à celui de personnes handicapées.

« Lors de certaines cessions, nous étions assez déçus des travaux qui nous étaient proposés, nous demandant si nous étions réellement connus de la part des auteurs et des intervenants du milieu », nous avoue François Schuiten. (« Heureusement, 2009 est une année extrêmement riche, et nous avons eu encore aujourd’hui beaucoup de mal à pouvoir nous mettre d’accord sur les projets à soutenir, tellement la qualité des dossiers était évidente ! Les discussions sont longues et les débats passionnés ! »

Soulignons tout de même quelques bourses accordées en 2008 : Renaud Dilliès pour Bulles et Nacelle, Hughes Hausman pour le Retour des Dimanches soirs, Jean-Luc Cornette et Maud Millecamps pour des Gens urbains, Marc Sevrin pour Opération Volapuk, Eric Lambé pour Deux îles, etc.

Le futur ?

« Si l’enveloppe budgétaire de la commission est actuellement de 100.000 €, la crise actuelle risque de ne pas la faire augmenter », explique Jean-Marie Derscheid. « Or, il y a encore beaucoup de terrains que nous voudrions explorer, en particulier celui d’une ‘Maison de la création’, qui reprendrait le rôle de lieu de création, d’exposition, de rencontre, et de vente des livres, mais avec les budgets alloués actuellement, cela semble très utopique. »

« Pour ma part », reprend François Schuiten, « je suis déçu de ne pas avoir pu utiliser la bourse de réédition d’œuvres patrimoniales. C’est bien entendu par manque de dossiers, mais je reste persuadé qu’une des missions de la commission est de pouvoir faire vivre également ce type d’albums »

Quand on parle de bande dessinée de création, la différence entre les grandes maisons d’éditions et les indépendants arrive vite sur la table. « Si le prix d’un livre est globalement multiplié par quatre pour un éditeur commercial, c’est plutôt par deux pour un petit éditeur indépendant. Le souci, c’est qu’un album qui connaît même un succès public, comme Gloria Lopez, ne dégage pas assez de rentrées pour qu’on puisse le rééditer. »

Après les diverses présentations, qui brillaient par leur honnêteté et leur volonté de bien faire, la parole était donnée à l’assistance, afin de retirer publiquement les attentes des divers intervenants et de susciter le débat parmi ceux qui bénéficient des aides de la commission et ceux qui le souhaitaient. Un des sujets majeurs abordés fut la promotion des œuvres de création. Même si leurs auteurs et/ou éditeurs sont subventionnés, ils ne parviennent pas toujours au public potentiellement désireux de les découvrir. « Nous fonctionnons bien entendu par auto-diffusion », explique Xavier Löwenthal de la cinquième Couche, « mais nous ne sommes vraiment acceptés que chez une bonne demi-douzaine de librairies, ce qui réduit notre impact auprès du grand public. ».

« Le problème, c’est qu’il y a eu plus de 4000 bandes dessinées éditées en 2008 ! », surenchérit Jean-Marie Derscheid. « D’ailleurs, certains éditeurs sortent des albums auxquels ils ne croient pas eux-mêmes, mais juste pour occuper de la place sur les étals des libraires ! »

Le débat fut une fois de plus riche et passionné et diverses pistes furent avancées telles que la création d’un présentoir commun à offrir aux libraires, et sur lesquels ils pourraient placer les ouvrages subventionnés par la commission. Il fut tout de même remarqué qu’il serait inepte d’indiquer Soutenu par la commission d’aide à la bande dessinée, de la communauté française de Belgique, ce qui risquait de faire peut-être plus fuir le lecteur, que de l’attirer.

Un autre point débattu fut la place importante des diverses bibliothèques, et le rôle qu’elle devait jouer comme ‘expert’ auprès du lecteur. Cette ‘éducation’ des bibliothécaires sera également un point qui sera suivi dans l’avenir de la commission.

François Schuiten, à l’écoute des divers intervenants

En guise de conclusion, nous pouvons rapporter les propos de François Schuiten : « Si nous faisons notre possible pour soutenir au mieux la création au sein de la bande dessinée belge francophone, nous devons tout de même concéder qu’il n’est pas toujours simple de répondre aux questions qui nous sont posées. La bande dessinée évolue, mais le marché de la BD se transforme également rapidement ! Il est compliqué de réaliser un travail juste, et de toujours vérifier si l’aide que nous apportons est efficace, nécessaire ou justifiée. Toutefois, vus les derniers projets présentés, nous sommes assurés qu’une bande dessinée de qualité existe et mérite d’être soutenue. Nous espérons pouvoir répondre dans le futur aux défis qui nous seront proposés, avec les fonds que nous recevons, car ces 100.000 € ne suffisent malheureusement pas à faire face à aux demandes de qualité qui nous sont actuellement soumises. »

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Plus d’informations sur les soumissions, ou pour obtenir le rapport complet de la commission, dont l’article ci-dessus n’est qu’un bref résumé :
Commission d’aide à la bande dessinée
Direction générale de la Culture
Service général des Lettres et du Livre
Ministère de la Communauté française
BD Léopold II, 44 1b041
1080 Bruxelles
et leur site.

Les derniers articles concernant la commission :
- Une première présentation de la commission
- Les dates de remise de projet et la création d’une bourse de congé sabbatique

Photographies : © CL Detournay

[1ce poste est passé d’un à trois experts en début 2009.

 
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