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La rentrée de L’Association en trois livres et un Lapin

Par Frédéric HOJLO le 9 septembre 2019                      Lien  
Entre fin août et début septembre, L'Association fait paraître quatre publications qui ont pour point commun de flirter avec les frontières de la bande dessinée. Le onzième numéro de Mon Lapin Quotidien, Guy Delisle illustrant des textes de Jean Echenoz, David B. poussant l'ellipse à l'extrême et Lætitia Bianchi livrant une superbe monographie sur José Guadalupe Posada rappellent que les arts graphiques ne sont pas exclusifs les uns des autres.

L’Association fait dorénavant partie des éditeurs connus et reconnus. Mais presque trente ans après sa création, elle doit veiller à se renouveler pour rester parmi les éditeurs alternatifs innovants voire dérangeants. Quoi de mieux pour cela que d’éditer des ouvrages auxquels certains ne daigneraient pas jeter un coup d’œil, au prétexte qu’il ne s’agit pas de bandes dessinées au sens traditionnel de l’expression ?

C’est justement ce qui est fait en cette rentrée 2019. D’abord avec la parution du onzième numéro de Mon Lapin Quotidien - MLQ pour les intimes. Le périodique va bientôt clore sa troisième année d’existence. Prenant la suite des différentes mouture de la revue de L’Association, Mon Lapin Quotidien se distingue à la fois par son format, extra-large, et son contenu, associant des formes graphiques et littéraires d’une grande diversité.

Rappelons que ce grand quotidien est en réalité trimestriel et qu’il rassemble à chaque fois plus d’une quarantaine d’autrices et d’auteurs, réguliers ou invités, morts ou vivants. Ce magma en fusion est ordonné par Jean-Yves Duhoo et Killoffer, rédacteurs en chef, et Rocco, graphiste et maquettiste. Tout dans MLQ est soigné : les illustrations et les bandes dessinées, les typographies et la titraille, les poésies et les petites annonces. Un Lapin aux petits oignons !

Chaque numéro est plus ou moins thématique, les auteurs étant très libres de leurs interprétations. Ainsi, le onzième paru fin août met à l’honneur le pain. Un sujet trivial, mais qui conduit pourtant à la politique comme à l’humour et la littérature. L’équilibre est cependant fragile. Séduisante, étonnante et distrayante, la revue pourrait laisser de côté quelques lecteurs ne se sentant pas invités à faire partie des happy few faisant vivre la publication. Mais il faut passer outre ce type de sensation et s’immerger dans les immenses pages du Lapin : chacun pourra alors y trouver quelques pépites.

La rentrée de L'Association en trois livres et un Lapin
Mon Lapin Quotidien #11 © L’Association 2019
Mon Lapin Quotidien #11 © L’Association 2019
Mon Lapin Quotidien #11 © L’Association 2019
Mon Lapin Quotidien #11 © L’Association 2019

Autre publication de la fin août : une collaboration entre l’écrivain Jean Echenoz et le dessinateur Guy Delisle. L’association est prestigieuse ! Le premier, auteur de dix-sept romans aux Éditions de Minuit, a reçu parmi de nombreux prix le Gongourt en 1999. Le second s’approche des vingt bandes dessinées publiées, chez L’Association, Dargaud et Delcourt notamment, et a reçu le Fauve d’or à Angoulême en 2012 pour Chroniques de Jérusalem (Delcourt, collection Shampoing, 2011). Les deux ont en commun le goût du voyage et du dépaysement, une certaine forme de minimalisme et une façon particulière d’imbriquer fiction et réalité.

Dans Ici ou ailleurs, Jean Echenoz et Guy Delisle s’affranchissent de tout récit pour concentrer leur attention sur les décors et les lieux de nos vies et de nos récits. Le dessinateur illustre de courts passages extraits des romans de l’écrivain, le donnant une image de fond tout en nous laissant imaginer les personnages et l’action. Tous les dessins sont en effet inhabités, laissant comme une impression de flottement. La précision de l’écriture de l’un et du trait de l’autre se rejoignent alors pour créer des atmosphères et révéler des lieux.

Les auteurs nous offrent donc une déambulation, non seulement à travers les rues de Paris et d’ailleurs, mais également au sein de l’œuvre de Jean Echenoz. Chaque citation étant rattachée à son livre d’origine, en retrouver le contexte est aisé. C’est une invitation à lire ou relire la prose du romancier, mais aussi les bandes dessinées de Guy Delisle. Il parvient dans cet ouvrage à une élégance du trait, faite de la fragilité d’un léger tremblement et de la finesse de représentation des détails, qui peut donner envie de s’attacher à redécouvrir son style davantage que son propos.

Ici ou ailleurs © Jean Echenoz / Guy Delisle / L’Association 2019
Ici ou ailleurs © Jean Echenoz / Guy Delisle / L’Association 2019
Ici ou ailleurs © Jean Echenoz / Guy Delisle / L’Association 2019
Ici ou ailleurs © Jean Echenoz / Guy Delisle / L’Association 2019

Après Guy Delisle, c’est un autre dessinateur ayant fait les beaux jours du catalogue de L’Association qui revient en ce début septembre. David B. livre Le Mort Détective, un récit feuilletonesque débuté il y a quinze ans dans la revue Black de Coconino. Squelettes, diables, papes et autres monstres se croisent et s’affrontent, devisent et se défient, meurent et réapparaissent. L’ambiance est fantastique, sombre sans être désespérante et un poil romantique.

Le dessin caractéristique de David B. fait merveille pour un tel récit. La puissance de son encrage et de ses contrastes contribuent de beaucoup au mystère et à la tension qui parcourent le livre. Les hachures renforcent la référence aux gravures du XIXe siècle, époque également bénie pour le feuilleton de genre. La composition des dessins en elle-même possède un rien de désuétude qui fait le charme de l’ouvrage.

Mais la principale originalité du Mort Détective réside dans la façon dont le récit est conduit. Le lecteur n’a que peu d’éléments pour reconstituer l’histoire. Chaque page présente seulement une tête de chapitre, composée d’une illustration, d’un titre inscrit dans un bandeau, sorte de phylactère comme on en traçait il y a longtemps, et d’une courte phrase prétendument tirée dudit chapitre. Autrement dit, David B. pousse très loin l’art de l’ellipse.

Au lecteur donc d’imaginer, ou non, ce qui peut se dérouler au sein de chaque chapitre. Et de reconstituer les relations entre les personnages comme l’intrigue qui les anime. Nonobstant les répétitions dans les pseudo-citations, le pari est réussi : David B. parvient à maintenir son lecteur en haleine. Et confirme ainsi qu’il existe bien des manières de raconter une histoire en bande dessinée.

Le Mort Détective © David B. / L’Association 2019
Le Mort Détective © David B. / L’Association 2019
Le Mort Détective © David B. / L’Association 2019
Le Mort Détective © David B. / L’Association 2019
Le Mort Détective © David B. / L’Association 2019
Le Mort Détective © David B. / L’Association 2019
Le Mort Détective © David B. / L’Association 2019

Enfin, dernier ouvrage de L’Association à paraître en septembre, mais pas le plus commun ni le moins important : Posada - Génie de la gravure de Lætitia Bianchi. Le terme de « génie » est souvent usurpé. Ce n’est pas le cas ici. La dense monographie de José Guadalupe Posada, abondamment documentée et illustrée, riche d’informations précises historiques comme techniques, est là pour le prouver.

Posada, né en 1852 et décédé en 1913, a créé de nombreuses images dont certaines sont devenues iconiques du Mexique. Ses calaveras, qui rappellent par certains côtés les danses macabres européennes, résument la culture mexicaine. Plus largement, son œuvre permet de mieux comprendre tout un pays, son histoire, ses croyances, sa société et son peuple. Elle balaye toutes les couches sociales et évoque tous les grands sujets de la vie, à commencer par la mort. Elle nous révèle le bouillonnement du Mexique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Les gravures de Posada, qui ont influencé nombre de dessinateurs et dont le magnétisme n’est pas rompu, se reconnaissent par leur finesse. L’art de la gravure nécessite, outre une dextérité indéniable, une grande patience. Vue la quantité d’images qu’il a laissée, celle de l’artiste mexicain devait être infinie. L’Association nous donne accès à plus de quatre-cent d’entre elles, en noir et blanc et en couleurs, dans une qualité qui permet d’en admirer les détails. Issues de la collection de l’historien de l’art Mercurio Lopez-Casillas, elles nous permettent de voyager à travers un vaste panorama d’une œuvre multiforme.

Lætitia Bianchi nous donne des clés pour en appréhender la complexité. La remise en contexte et la prise en compte des avancées récentes de la recherche rendent l’ouvrage intéressant pour les néophytes comme pour les spécialistes. Certaines gravures sont précisément commentées, en parallèle du récit biographique. Des textes d’époque sont également ajoutés, replaçant les images dans leur environnement de parution. L’ensemble est autant un régal pour les yeux qu’un plaisir pour les méninges.

L’Association parvient en cette rentrée à émerger de la lame de fond éditoriale. Alors que d’autres éditeurs sortent leurs récits les plus attendus ou annoncent des ouvrages présentés comme des best-sellers avant même leur parution, elle mise sur des ouvrages cassant les codes du récit, accordant la part belle à l’évocation et faisant confiance à la force du dessin. C’est ce que nous attendons d’un tel éditeur : nous surprendre et nous pousser hors des sentiers battus.

Posada - Génie de la gravure © Lætitia Bianchi / L’Association 2019
Posada - Génie de la gravure © Lætitia Bianchi / L’Association 2019
Posada - Génie de la gravure © Lætitia Bianchi / L’Association 2019
Posada - Génie de la gravure © Lætitia Bianchi / L’Association 2019
Posada - Génie de la gravure © Lætitia Bianchi / L’Association 2019
Posada - Génie de la gravure © Lætitia Bianchi / L’Association 2019

(par Frédéric HOJLO)

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Code EAN : 9782844147448

- Mon Lapin Quotidien #11 - 41 x 58 cm - 12 pages en noir & blanc - parution le 21 août 2019.

Avec : François Ayroles, Baladi, Edmond Baudoin, Thomas Baumgartner, Humphrey Beauvoir, Charles Berberian, JM Bertoyas, Laetitia Bianchi, Isabelle Boinot, Denis Bourdaud, Brice Catherin, Agnès de Cayeux, Eric Chevillard, Cléa Chopard, Jean-Luc Coudray, Pablo Cueco, Jessy Deshais, Jean-Yves Duhoo, Florence Dupré La Tour, Sophie Dutertre, Marc-Aurèle Élien, Quentin Faucompré, Jochen Gerner, Émilie Gleason, Alfred Jarry, JM, Joko, Killoffer, Andréas Kündig, Hervé Le Tellier, Étienne Lécroart, Vincent Lefèbvre, Thierry Longé, Paul Martin, Clémentine Mélois, Dorothée de Monfreid, Morvandiau, Régis Moussa, Raphaëlle Muller, Muzo, Mariette Nodet, Pablúx, Pic, Placid, Posada, Mirtha Pozzi, Phileas PYM, Emmanuel Rabu, Denis Robert, Rocco, Christian Rosset, D.A.F. de Sade, Lars Sjunnesson, Stanislas, Corinne Taunay, Pacôme Thiellement, Tofépi, Delfeil de Ton, Mickey Torpédo, Vincent Vanoli, Fabio Viscogliosi.

- Ici ou ailleurs - Par Jean Echenoz (textes et préface) & Guy Delisle (illustrations) - 23,5 x 14,7 cm - 88 pages en monochromie - couverture cartonnée - parution le 21 août 2019.

- Le Mort Détective - Par David B. - 21 x 15 cm - 112 pages en noir & blanc - couverture cartonnée - parution le 11 septembre 2019.

Une version luxe de cet ouvrage avec un cahier supplémentaire de 32 pages d’inédits et d’esquisses, tirée à 200 exemplaires numérotés et signés, est également en vente sur le site de L’Association (21 x 15 cm - 144 pages en noir & blanc sur papier couleur sable teinté dans la masse - couverture cartonnée et toilée avec marquage noir mat).

- Posada - Génie de la gravure - Par Lætitia Bianchi (textes, traductions, conception graphique et mise en page) & Mercurio Lopez Casillas (textes) - 22 x 28,8 cm - 320 pages en noir & blanc et couleurs - couverture cartonnée - parution le 11 septembre 2019.

 
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