On se souvient de la formidable entreprise de Will Eisner qui entreprit à 86 ans de raconter en bande dessinée l’histoire d’un faux créé par la police du tsar, Les Protocoles des Sages de Sion, devenu en quelques années la matrice fantasmatique de l’idéologie antisémite, inspirant Adolf Hitler pour l’écriture de Mein Kampf : Le Complot, paru aux éditions Grasset. Cette bande dessinée eut un grand succès en France, vendant plus de 30.000 exemplaires, bien plus que ce que Eisner vendait d’ordinaire dans ce pays.
Un think tank [1] bruxellois spécialisé dans les affaires européennes, et plus particulièrement dans les relations entre les États-Unis, Israël et la Communauté européenne, avait entrepris de distribuer le chef-d’œuvre de Will Eisner accompagné d’un petit fascicule explicatif signé du directeur de cette institution, Emmanuele Ottolenghi, intitulé : « Le mensonge qui ne veut pas mourir ».
Mardi dernier, M. Ottolenghi recevait une lettre des services de la Présidence du Parlement formulant un refus de distribuer ce document « en raison de son contenu ». La lettre avance en outre que, « indépendamment de l’opinion favorable que nous cultivons chacun d’entre nous pour les thèses qui sont exposées dans cet ouvrage », les services de la députation européenne se refusaient de faire de la publicité et que le thème de cet opuscule ne s’inscrivait pas dans l’agenda des députés. M.Ottolenghi a formulé un recours contre cette décision auprès de la questure du Parlement à Luxembourg, en particulier Madame Astrid Lulling, en charge des questions administratives. Elle devrait prendre sa décision dans une semaine, au moment de la session plénière mensuelle du Parlement à Strasbourg.
La Communauté serait pourtant bien inspirée d’autoriser cette distribution car, récemment encore, le président du Parlement européen, Hans-Gert Poettering, avait dû faire retirer de la librairie du Parlement une version française romancée du faux tsariste que la BD dénonçait précisément. Quand le poison se distille, il est bon d’avoir l’antidote sous la main...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Un think tank ou groupe de réflexion est une institution privée indépendante d’experts, le plus souvent de sciences sociales, chargée de réfléchir et d’analyser une série de thèmes susceptibles de se transformer en propositions de politique publique.
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