L’encre de la gnose hergéenne ne semble jamais sèche, mais celle-ci vient à contre-courant. Vous n’y trouverez pas d’articles des spécialistes accrédités du « Château » des éditions Moulinsart, à la prose lisse et coiffée à la brillantine : Michael Farr, Philippe Goddin, Philippe Mellot ou Daniel Couvreur..., mais les paroles de spécialistes un peu plus « rugueux », à commencer par Pierre Assouline qui révolutionna le premier l’historiographie du maître bruxellois en débusquant d’étonnantes archives, notamment sur la période de l’occupation, révélant des faits qui ont défrayé une chronique jusque-là patiemment ripolinée. Il contribua à bâtir la « légende noire » du créateur de Tintin.
Découpé en trois parties rythmant sa vie : l’avant-guerre et la guerre (Ascension), l’immédiat après-guerre (Pression) et les années de rupture des années 1960 à 1980 (Dépression), avec des interviews de Pierre Assouline, de Numa Sadoul, de Benoît Peeters, ou de Benoît Mouchart, le « mythe Hergé » et notamment sa fortune critique exceptionnelle sont passés en revue, avec en appui d’étonnants documents comme ce « projet de contrat » de 1942 qui établit la relation juridique sommaire mais solide qui lie l’œuvre centrale d’Hergé à Casterman.
Ou encore des photos publiques ou privées, parfois connues mais quelquefois inconnues, du grand homme, comme ce face à face à la TV avec Thierry Le Luron, ou encore ce témoignage de Pierre Sterckx qui raconte cette équipée entre potes dans le « Red Light District » d’Amsterdam où l’on n’attend pas le prude dessinateur belge assister à un spectacle porno Live où « un Noir athlétique fait l’amour à une sculpturale Batave. » Après l’avoir découvert raciste, antisémite, collabo, il ne manquait à Hergé que la case « misogyne » (bien que l’on s’en doutât…) si l’on en croit des propos tenus auprès d’un journaliste dans les années 1940...
Bref, bien des choses intéressantes dans ce numéro. On apprécie la contextualisation critique faite par les commentateurs et la pertinence des questions qui sont posées. Mais on est parfois déçu par les réponses, cent fois entendues, et par des analyses quelquefois bancales comme ces « sept familles stylistiques de Tintin » de Patrice Guérin passablement à côté de la plaque.
Un joli travail cependant de la part de l’équipe des Cahiers de la bande dessinée qui s’avèrent décidément une revue réussie et indispensable aux amateurs du 9e art.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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