Village de L’Estrémadure espagnole, dans le massif de Las Hurdes, à la frontière portugaise, Aguas Calientes subit une vague d’événements inquiétants : sa population ordinairement si pieuse semble la proie d’esprits malins, transformant les bigots et bigotes en bêtes mues par leur instinct le plus bestial : le sexe.
C’est dans ce climat de désordre collectif inexpliqué que le Docteur Melania Ricius, sexologue jungienne, arrive dans ce petit village presque coupé du monde. Elle a été appelée par Sarah, l’une de ses anciennes étudiantes. Mais à son arrivée, le docteur Melania doit constater que Sarah a entretemps disparue. Elle doit alors seule mener l’enquête pour comprendre quelles turpitudes secouent ce village dont la fondation remonte à la préhistoire. Un voyage à travers un dédale de mystères ancestraux commence alors pour elle !
La sibylline et symbolique couverture des Saintes Eaux ne laisse pas présager le choc que représente cet ouvrage dans l’univers de la bande dessinée érotique. Certes, sa première planche s’affirme d’entrée dans un genre pornographique pleinement assumé par son auteur Raúlo Cáceres, au point qu’on ne puisse la reproduire ici. Mais cet ouvrage de près de deux cents pages en grand format va bien au-delà de cette seule intention.
En effet, dès le premier chapitre sur les 24 qui composent ce récit, on comprend que la sexualité est prétexte à un scénario savamment construit et maîtrisé par son auteur. Seconde observation qui saute aux yeux : la maestria graphique de Raúlo Cáceres !
Tant de maturité et de qualité graphique ne sont pas le fruit du hasard. Caceres est un auteur espagnol à cheval entre deux mondes. D’un côté, des bandes dessinées érotiques qu’il réalise en espagnol et qui parviennent progressivement jusqu’à nous ; de l’autre, une carrière dans le Comics en collaboration avec des scénaristes réputés : Max Brooks, Waren Ellis, David Lapham et Garth ennis.
La suite de la lecture des Saintes Eaux ne fait que confirmer la qualité hors-normes de l’ouvrage : chaque planche semble pousser encore plus loin le défi de la lisibilité, de l’équilibre graphique combiné à la force des masses noires et à la finesse des traits. Une démonstration d’encrage.
Les Saintes Eaux ne se limitent heureusement pas une simple démonstration graphique. Le récit est porté par une véritable enquête psychologique dans un village fictif en proie à une forme de frénésie sexuelle. Certes, cette thématique n’est pas nouvelle, mais Caceres dépasse largement le prétexte aux ébats pour toucher à notre psyché : il évoque les névroses et les déviances sexuelles par le biais de sa docteresse en personnage principal, une belle façon de décomplexer le lecteur face à sa propre sexualité.
L’auteur analyse les rites païens et la façon dont la religion les a récupérés et souvent enchaînés dans un dogme. Les dialogues sont parfaitement rédigés, bien loin des artifices bêtifiants auquel le genre nous a habitués : grâce soit rendue à la minutie de la traduction de Master Tabou. Et aux éditions Tabou pour avoir édité les deux premiers livres érotiques de cet auteur.
Comme le dit si bien Javier Fernandez dans son introduction : "Le folklore émane moins du village lui-même que de la légende noire de toute une Espagne catholique, percluse de superstitions. Le conflit qui parcourt l’album est celui de l’abolition historique du tellurique, la violente substitution des anciens mythes païens par une religion qui, loin de proposer de nouvelles réponses aux vieilles questions, assure son pouvoir par la suppression des instincts, par la castration et la diabolisation du plaisir."
(par Charles-Louis Detournay)
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Les Saintes Eaux - Par Raúlo Cáceres (Trad. Mister Tabou) - Tabou (paru le 27 mai 2020).
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