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Li-Chin Lin (« Fudafudak, l’endroit qui scintille »), « Nous sommes tous Taïwanais ! »

Par Laurent Melikian le 19 juillet 2017                      Lien  
Native de Taïwan et vivant en France, Li-Chin Lin explore son île avec ses lecteurs. Après « Formose » en 2011 qui présentait l’histoire d’un pays sous le joug nationaliste, elle renoue avec le reportage pour un événement précis, la lutte des peuples aborigènes pour la préservation de leurs terres. En l’occurrence les Amis du Sud-Est de l’Île cherchant à protéger plage de Fudafudak menacée par un projet hôtelier.

Qu’est-ce qui vous a d’abord attiré avec le mouvement de Fudafudak, les revendications aborigènes ou la sauvegarde de l’environnement ?
Les deux thématiques sont venues à moi par hasard. J’ai d’abord entendu parler de cette affaire de construction d’un complexe hôtelier et des protestations qui s’en étaient suivies. Ensuite une amie qui a participé à ces manifestations m’a proposé d’effectuer dans la région une résidence artistique.

Li-Chin Lin (« Fudafudak, l'endroit qui scintille »), « Nous sommes tous Taïwanais ! »
© Li-Chin Lin – Ça et Là

La précédente œuvre en bande dessinée à propos des aborigènes de Taïwan était Seediq Bale par Row-Long Chiu. Il était question d’esclavagisme et de massacres perpétrés par l’armée impériale japonaise dans les années 1930. Votre livre présente une situation contemporaine où les aborigènes sont considérés comme une composante de la société taïwanaise, parfois menacée dans son environnement mais bien reconnue. Le progrès est-il si manifeste ?

Tout est relatif bien sûr. Avant l’arrivée des premiers Taiwanais d’origine chinoise ou européenne, les aborigènes étaient les seuls habitants de l’île. Aujourd’hui ils ne représentent plus que 2% de la population. Il est vrai que le pays s’est démocratisé, leurs langues sont reconnues officiellement, des lois de protection ont été promulguées, il existe même une chaîne de télévision en langues aborigènes. Cependant, ils vivent dans des lieux isolés où l’activité économique reste faible, certains sont fragilisés par le développement venu des villes, d’autres ont des rôles politiques ou économiques importants.

Comment Emmanuel Guibert s’est-il retrouvé personnage de Fudafudak ?

Emmanuel Guibert invité avec d’autres professionnels de la bande dessinée à Taïwan. Nous nous connaissions depuis longtemps et il a pu venir me rendre visite pendant quelques jours. Ça a été très drôle quand il a entonné Brassens en réponse aux chants des aborigènes.

© Li-Chin Lin – Ça et Là

Sur un plan personnel, comment le mouvement aborigène vous interpelle-t-il ?

C’est très profond. Que l’on soit de souche aborigène ou d’ailleurs, nous sommes tous Taïwanais. Pendant la dictature, leurs langues étaient interdites, alors qu’elles font partie de la richesse culturelle de notre petit pays. Que leur culture reste souvent cantonnée au folklore m’attriste. Comment leur mode de vie peut-il subsister si Taïwan ne devient qu’un immense terrain bétonné ?

Comment la version taïwanaise de Formose a-t-elle été reçue ?

Relativement bien face aux sagas mainstream qui dominent le marché local. Un tel livre qui évoque l’histoire récente de notre pays en mélangeant les codes est rare. Heureusement il a été soutenu par la presse y compris des journaux appartenant à des groupes proches du Kuomintang (parti nationaliste aujourd’hui favorable à un rapprochement avec la Chine, NDLR). Il y a peu de cours d’histoire contemporaine à Taïwan, mon histoire a touché des lecteurs qui ont vécu des histoires similaires. Certains comme moi étaient fiers, lorsqu’ils étaient enfants, de parler mandarin sans accent et de faire la police autour d’eux pour repérer les « mauvais citoyens ». Au final, Formose s’y est probablement mieux vendu mieux qu’en France. Ce qui n’était pas évident.

© Li-Chin Lin – Ça et Là

Quel était le contexte politique lors de cette publication ?

En 2012 ; au moment de sa sortie, le Kuomintang était au pouvoir. Il y avait un projet pour changer les programmes d’histoire revenir à la version nationaliste du passé. Cela et un projet d’accord avec la Chine a entraîné le mouvement des jeunes étudiants dit « du Tournesol » qui ont occupé le parlement. Le Kuomintang a été battu aux dernières élections.

© Li-Chin Lin – Ça et Là

Pourquoi avoir choisi de vivre en France ?

Même si je ne suis pas très connue, je veux rester ici où il est possible de travailler en tant qu‘auteur de bandes dessinées, où il est toujours possible de publier des récits comme Formose ou Fudafudak. Je peux aussi tisser des liens entre les auteurs taiwanais et la scène européenne. Nous avons un pavillon pendant le Festival d’Angoulême et un partenariat avec la Maison des auteurs qui accueille des jeunes auteurs de l’Île. Je dois le reconnaitre, certains fonctionnaires taïwanais travaillent intelligemment.

Propos recueillis par Laurent Melikian

(par Laurent Melikian)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 978-236990236

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